Chroniques

par isabelle stibbe

Соловей | Rossignol
opéra d’Igor Stravinsky

Festival d'Aix-en-Provence / Grand Théâtre de Provence
- 4 juillet 2010
Au Festival d'Aix-en-Provence, l'incroyable féérie du Rossignol de Stravinsky
© elisabeth carecchio

« Le spectateur est un homme assis. C’est-à-dire en position de repos. […] Il faut cependant l’intéresser, je dirais même l’intégrer au spectacle, dont il est un des participants. Pour cet homme au repos, il faudra présenter des situations fortes qui le sortent de sa léthargie, qui ne l’enfoncent pas dans son fauteuil, ventre dans la poitrine, mais au contraire, le fassent se redresser et vivre ».

Si l’on reproduit cette citation de Jean Vilar, c’est qu’elle décrit parfaitement l’attitude des spectateurs du Grand Théâtre de Provence, à l’issue du Rossignol de Stravinsky dans cette nouvelle coproduction du Festival d’Aix. Venus un peu accablés par la chaleur aixoise, ils en sortent revivifiés, après une standing ovation généreuse et spontanée.

Que s’est-il donc passé pour susciter cet unanime cri du cœur ? Une fosse d’orchestre remplie d’eau et nous voilà embarqués dans l’univers féerique de Robert Lepage. Le miracle de l’intelligence et de la poésie réunies dans une mise en scène qui fera date. La musique de Stravinsky servie avec bonheur par Kazushi Ono à la tête d’un Orchestre de l’Opéra national de Lyon galvanisé. Des voix saines, opulentes et heureuses de chanter, des solistes jusqu’aux chœurs.

Riche de tous ces ingrédients, la sauce prend, et c’est du grand veneur trois étoiles !
Le spectacle de deux heures débute par des petites pièces de la période russe de Stravinsky, écrites entre 1908 et 1918 : Pribaoutki (Chansons plaisantes), les Berceuses du Chat, ou encore Renard font appel à des thèmes populaires et sont musicalement influencées par le folklore, même si, à l’introduction de dissonances ou de formules rythmiques complexes, on reconnaît aisément le style de l’auteur. Pour ces petites formes, Robert Lepage fait appel à des ombres chinoises, exécutées à jardin, sur une avant-scène surélevée évoquant une terrasse chinoise. L’orchestre, lui, est sur scène – bel hommage au travail des instrumentistes qui ne sont plus confinés dans la fosse mais visibles du public. Les chanteurs sont placés devant les musiciens, comme pour un récital. Au fur et à mesure que se déroule la première partie du spectacle, les techniques de mise en scène se font plus complexes : Robert Lepage part d’ombres produites par les mains, puisant à une source plus ou moins fantasmatique des origines du théâtre (des hommes se rassemblent autour du feu, dans une caverne, certains jouent avec leur ombre contre la paroi rocheuse afin de dramatiser le récit), pour arriver à des techniques plus sophistiquées comme les ombres blanches, mêlant celles produites par la lumière derrière un écran à des reflets projetés devant celui-ci.

Après l’entracte, Rossignol emprunte aux marionnettes d’eau vietnamiennes. On sait que cet opéra, écrit à des périodes différentes de sa vie – le premier acte date de 1908 sous l’influence de Rimski-Korsakov, les actes II et III sont composés en 1913 après le triomphe du Sacre –, s’inspire de la fable Le Rossignol et l’Empereur de Chine. En écho à l’Orient mythique développé par Andersen et Stravinsky, Robert Lepage compose sa propre chinoiserie. Tenté par la marionnette qu’il rêvait d’inviter à l’opéra, il l’utilise de façon magistrale, avec la complicité de Michael Curry, en introduisant des petites marionnettes actionnées par les chanteurs eux-mêmes ou par des scaphandriers. C’est surprenant, désarmant de beauté, magique…

Pour ne rien gâcher de ce feu d’artifice visuel, les voix sont toutes d’un très haut niveau. Si l’on apprécie particulièrement la voix riche en harmoniques d’Olga Peretyatko (Rossignol), splendide matériau vocal et présence ravissante, il faut rendre justice à tout le plateau. De l’orchestre au clarinettiste, des solistes aux chœurs lyonnais en passant par le chef, tous donnent le meilleur d’eux-mêmes. La force de ce spectacle ne tient pas seulement à ses beautés visuelles ou sonores, mais aussi à la communion entre tous les protagonistes, jusqu’aux techniciens de plateau qui procèdent aux ajustements de décors pendant l’entracte. On sent que tous sont unis dans cette aventure remarquable, de ces aventures théâtrales rares dans une vie d’homme ou de femme de spectacle. Alors, dans la volonté de se dépasser, de la servir au mieux et de communiquer au public leur bonheur d’y participer, ils arrivent à faire entrer la représentation dans cet état qu’affectionnait tant Vilar au théâtre : la communion, tout simplement.

IS