Chroniques

par bertrand bolognesi

épisode 8 – Orchestre national de Lyon
entre Shakespeare et les symphonies de machines

Festival Berlioz / Château Louis XI, La Côte-Saint-André
- 29 août 2014
Au Festival Berlioz, les pitreries de maestro Slatkin et sa machine à écrire
© delphine warin | festival berlioz

À La Côte-Saint-André comme partout les soirées se suivent mais ne se ressemblent pas… Après l’excellent moment passé avec l’Orchestre des Pays de Savoie, le second concert de l’Orchestre national de Lyon pour cette vingt-et-unième édition du Festival Berlioz ne convainc guère, disons-le d’emblée. De prime abord, le menu semblerait pourtant bien s’inscrire dans Berlioz en Amérique au temps des révolutions industrielles, le mot d’ordre de cette année. Mais à regarder de près la succession de pièces inscrites à une première partie « machiniste », pour ainsi dire, et une conclusion autour des amants de Vérone, il saute aux yeux que ce programme n’a d’autre cohérence que le collage anecdotique quelque peu capillotracté.

L’ère des machines, pour commencer. Quatre soirs après la projection de The General (1926) de Buster Keaton sur la musique toutefois fort peu inventive quoique largement efficace de François Narboni, donnée par les ensembles Musiques Nouvelles et Télémaque, il est assez judicieux de présenter le premier des trois mouvements symphoniques d’Arthur Honegger, Pacific 231, écrit trois ans avant la réalisation de l’illustre bobine et d’ailleurs créé par Sergueï Koussevitski dont il fut beaucoup question mercredi [lire notre chronique de l’avant-veille], d’autant qu’il s’agit d’une œuvre conçue elle aussi pour le septième art – plus précisément La rose du rail d’Abel Gance (1923). Dans la saveur mafflue des contrebasses, l’interprétation demeure cependant un peu lente et la loco’ flambant neuve « s’empétouille » malencontreusement de cors en méforme. Certes, un tel véhicule prétendrait mal à la légèreté, mais la présente lecture accuse une lourdeur des plus redondantes. Dommage, car par ailleurs Leonard Slatkin laisse entendre chaque détail au plus tonitruant du tutti, ce qui n’est pas si simple.

Le chef étatsunien prend ensuite la peine de présenter quelques-unes des pièces qu’il jouera. Ainsi de The twittering machine, qu’il traduit par « la machine à gazouiller », écrite en 1959 pat le corniste Gunther Schuller et s’insérant dans une suite conçue autour de tableaux de Paul Klee. La petite harmonie lyonnaise est diablement mise à contribution par cette volière usinée, coucou qu’on jurerait dodécaphonique et qui s’achève dans une contrebasse en distension de courroie… « comme une vieille montre que vous devez tout le temps remonter », disait Slatkin.

Après l’affligeant Short ride in a fast machine (John Adams, 1986), encore faut-il supporter trois futilités de Leroy Anderson (1908-1975), données de surcroit non sans un racolage absolument benêt. À la guimauve emmiellée de Sandpaper ballet (Ballet du papier de verre, 1954) succède l’imbécile Waltzing cat (Valse du chat, 1950) pour laquelle il est demandé au public de miauler en mesure. Parce qu’il est toujours possible d’en ajouter dans la « putasserie », est amenée sur scène une machine à écrire dont le digne papi jouera encore, non sans s’être préalablement adonné au plus brillant des exercices de niaiserie satisfaite ; The typewriter symphony (1950)…

Comment peut-on décemment associer à de telles sottises la musique d’Alexandre Mossolov ? De fait, il semble impossible au mauvais goût de triompher de Zavod Op.19, musique mécanique (« музыка машин ») composée par l’Ukrainien constructiviste en 1926, ici donnée sans relief aucun, dans un hurlement indifférencié de tous les pupitres, bouillie surcuite dont la toque devrait être punissable par la loi… ou surnommée nux vomica. L’entracte vient reposer l’oreille de ce grand n’importe-quoi.

Après quoi, l’Orchestre national de Lyon – une formation qu’il faut décidément n’aller écouter que lorsqu’elle joue sous la battue d’un autre chef que le sien – explore le mythe de Roméo et Juliette. Au souvenir du très beau concert de samedi [lire notre chronique du 23 août 2014], on comprend mal les nombreux accrocs des cors de ce soir et moins encore le peu de précision et de nuance dont souffriront les extraits du ballet de Prokofiev (1935). Quant à l’aperçu de l’inévitable West Side Story (Bernstein, 1957), la scansion brutale qu’il subit se conclut dans l’indigeste barbe à papa conçue en 1968 par Nino Rota pour le film kitchissime de Zeffirelli. Contre toute attente, c’est l’ouverture-fantaisie de Tchaïkovski, Ромео и Джульетта (1869-1880), directement enchaînée, qui nous réconciliera avec ce misérable concert. Bien que l’exécution n’en soit pas habitée, elle s’avère plutôt honnête – sans plus.

BB