Chroniques

par bertrand bolognesi

Демон | Le démon
opéra d'Anton Rubinstein

Théâtre du Châtelet, Paris
- 27 janvier 2003
© musée russe, saint-pétersbourg

Evènement fort attendu que ce Démon [illustration : Démon assis, toile de Mikhaïl Vroubel, 1890] quasiment inconnu chez nous (si ce n’est par une version de 1911 traduite en français) et que le Théâtre musical de Paris propose dans le cadre de sa Saison russe, en coproduction avec le Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. La déception est à la mesure de l’attente…

Tout d’abord, Evgueni Nikitin, à chanter le rôle-titre, a bien du mal à en assumer l’écriture. La partition, il est vrai, est atypique, sollicitant autant les aigus cuivrés d’un baryton que de sonores graves de basse. À quel type de voix convient-il de la confier ? À une basse apportant la couleur sombre qui démonise à souhait les aigus au risque de verser dans la caricature, au détriment des mots d’amour ? À un baryton qui roucoule naturellement sa séduction, cuivrant exquisément les aigus sans jamais convenablement faire sonner les graves ? N’allons pas jusqu’à dire le rôle fut mal écrit, mais il n’est certainement pas facile à distribuer. Et ici, c’est un démon plutôt falot qui le sert, proche du héros amoureux mais bien peu de l’ange déchu. Le timbre n’est pas dénué de charme, mais sans graves, et la phrase, pourtant assez joliment menée, trop souvent approximative.

La Tamara de Marina Mescheriakova attire l’écoute au tout début par une vocalise pianississimo infiniment délicate, puis se montre trop peu soucieuse de nuancer son chant, réellement audible uniquement sur des aigus très développés et parfois agressifs et mal préparés. Notons, malheureusement, une insuffisance du jeu qui nuit beaucoup à la crédibilité du personnage. Enfin, le Chœur du Mariinski ne se présente pas à son avantage, lui non plus, parfois allègrement faux.

Cela dit, le ténor Ilya Levinsky campe un Prince Sinodal tout à fait honorable, d’une voix bien placée, fiable et vaillante. Saluons également la Nourrice d’Olga Markova-Mikhaïlenko et le timbre magnifique et fort bien utilisé de Nikolaï Okhotnikov au service d’un Vieux Serviteur parfaitement interprété.

Le plus décevant reste incontestablement – et inexplicablement – la mise en scène de Lev Dodin. Par le passé, l’on put apprécier son travail avec les inoubliables Claustrophobia et Gaudeamus en tournée européenne, et, bien sûr, sa Dame de Pique à la Bastille qui, outre de faire couler beaucoup d’encre, époumona quelques lyricomanes ulcérés. On s’en souvient comme d’une tentative réussie de réappropriation de l’œuvre de Tchaïkovski, par extrapolation des sens qu’elle peut renfermer plutôt que par caprice, comme il fut dit alors. C’était une expérience frappée d’un certain génie pour une réalisation bouleversante. Lorsqu’on connaît un peu Le Démon sans avoir eu la chance jamais de le voir, apprendre que l’homme de ces spectacles en signerait la création parut une bonne nouvelle. Aussi cette mise en place des plus plan-plan, monstrueusement traditionnelle, sans invention et même sans véritable direction d’acteurs, laisse pantois. Que s’est-il passé ? Peut-être la volonté de servir un ouvrage rare aura-t-elle empêché l’artiste de s’en saisir ? Le résultat est plus ennuyeux qu’une bonne version de concert.

Outre ces déconfitures, la lecture de Valery Gergiev se montre au niveau de celles qu’il offre depuis une dizaine d’années lors des tournées du Mariinski, bien qu’un peu timide au souvenir des Boris, Dame de Pique, Sadko, Prince Igor, etc. vus au Théâtre des Champs-Elysées.

BB