Chroniques

par bertrand bolognesi

Царская невеста | La fiancée du Tsar
opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov

Festival des régions / Théâtre du Châtelet, Paris
- 17 juin 2003
Marie-Noëlle Robert photographie La fiancée du Tsar au Théâtre du Châtelet (Pari
© marie-noëlle robert

La remarquable Saison Russe du Théâtre du Châtelet arrive à son terme avec la présentation d’une production de l’Opéra national de Bordeaux, dans le cadre du Festival des régions. En décembre, nous avions apprécié Le coq d’or, dernier opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov. Ce soir, c’est La fiancée du Tsar, écrit juste avant, en 1899. Cet ouvrage est présent sur les scènes russes, mais ce n’est pas du tout le cas dans le reste de l’Europe. À force de méconnaissance, on lui attache une étiquette péjorative d’opéra folkloriste qui ne se justifie pas. Le compositeur sut extraire les procédés de la musique populaire sans s’adonner à la citation ou à de douteux montages, comme son élève Stravinsky n’hésitera pas à le faire plus tard. Le mépris dans lequel on est accoutumé de tenir l’œuvre tient peut-être plus au sujet, sommes toutes assez éloigné des préoccupations occidentales, qu’à la partition. On se passionne pour Boris, par exemple : vraisemblablement parce que l’histoire se veut shakespearienne et affronte de face la chose politique, tandis que La fiancée du Tsar semble aller de soi dans un univers qui nous est peu familier et aborde le thème de la légitimité des privilèges du pouvoir avec une infinie discrétion qui n’a rien de commun avec la plus directement lisible parodie du Coq d’or.

La scène bordelaise, momentanément installée au centre de Paris, a donc le mérite de faire découvrir cet opéra, une version scénique favorisant l’approche véritable d’une œuvre, plutôt qu’une écoute discographique, même particulièrement attentive.

Dès les premières mesures, on constate l’effort appréciable que l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine fournit à son pupitre de cuivres. C’est indispensable, vu l’importance de ses interventions dans la partition. La sonorité générale de la fosse est équilibrée. La direction de Hans Graf se montre attentive aux possibilités et besoins des chanteurs en scène. Toutefois, pour irréprochable que s’avère la lecture de l’œuvre et d’une indéniable clarté d’articulation, elle manque de nuances, trop de prudence nuisant à la recherche d’un peu plus d’expressivité. Peu vaillant, le Chœur de l’Opéra national de Bordeaux accuse des approximations fâcheuses, surtout chez les hommes.

Sur le plateau, nous retrouvons l’Onéguine de Toulouse, Ludovic Tézier [lire notre chronique du 11 avril 2003], dans un Griaznoï sombre à souhait, bénéficiant d’une ligne de chant superbe et d’une grande richesse de timbre qui lui permettent, au fil de l’œuvre, de décliner les divers sentiments du personnage avec sensibilité et crédibilité. Skouvatov est Albert Schagidullin dont les prestations sont parfois inégales ; ce soir est un bon soir, dirons-nous. Nous retrouvons également l’Olga de Strasbourg, Nona Javakhidze, en une Douniacha chaleureuse et attachante. Grande déception avec le Sobiakine de Denis Sedov ; on connaît bien cet artiste dont la voix nous émut plus d’une fois – rappelez-vous Trois Sœurs, par exemple. Que s’est-il passé ? Outre qu’il fait du personnage un barbon gâteux dans un cabotinage des plus maladroits pour amuser la galerie qui ne s’en amuse d’ailleurs pas, la voix n’est pas au rendez-vous. Seuls quelques sur-graves sonnent, toujours impressionnants, sans qu’il soit possible de suivre confortablement un phrase entière, et le haut-médium sort sans corps. On espère qu’un peu de repos et de discernement dans ses choix de prise de rôles nous rendront bientôt un Denis Sedov en pleine forme.

En revanche, trois chanteurs nous ont conquis : la délicieuse Olga Trifonova, le très agile Coq de cet hiver [lire notre chronique du 23 décembre 2002], qui campe la Fiancée, dont on apprécie tant la grande technique que les aptitudes de comédienne ; le Lykov du brillant ténor Mikhaïl Davidoff aux aigus d’une facilité étonnante ; et surtout l’extraordinaire Lioubacha d’Elena Manistina qu’on entendit récemment dans Iolanta, dans un rôle moins développé [lire notre chronique du 30 mars 2003]. Aujourd’hui, nous goûtons un timbre merveilleusement coloré, un art raffiné, l’homogénéité de la voix en ses différents registres et une réelle force expressive. Quel son, quelle musicalité, et quelle présence !

Temur Tchkeidze présente une mise en scène effacée. Un choix de nuances de rouge, doré, cuivre, ocre, donne au spectacle d’une esthétique plutôt flatteuse, surtout au quatrième acte. Cependant, pas de réelle direction d’acteur. Il y a longtemps qu’on avait vu des scènes de chœur si statiques. Reste à savoir si une proposition plus radicale ne nuirait pas à la découverte de l’ouvrage. On résumera en disant qu’en tout cas, elle n’est pas gênante.

BB