Chroniques

par gérard corneloup

Aida | Aïda
opéra de Giuseppe Verdi

Chorégies d’Orange / Théâtre antique
- 9 juillet 2011
Aida, opéra de Giuseppe Verdi
© philippe gromelle

Pour fêter ses quarante ans… ou du moins les quarante ans de sa nouvelle version façon XXe siècle finissant, les Chorégies d’Orange ont ouvert leur édition 2001 avec l’un des piliers de leur répertoire, propre à occuper l’immense espace scénique planté devant le fameux mur de scène deux fois millénaire aux superbes qualités acoustiques. Avec lui, huit mille lyricophiles occupent volontiers les gradins (malgré le prix des places).

Aida, donc, encore qu’à la sortie de la première l’on aurait tendance à débaptiser l’ouvrage Amneris, tant la cantatrice – bien choisie, elle – , le mezzo-soprano russe Ekaterina Gubanova, possède les qualités vocales autant que dramatiques du rôle, faisant de ses interventions un régal pour l’oreille et la sensibilité du spectateur, avec un timbre bien posé, une émission bien conduite, des aigus sans dureté, des passages de registre sans fêlures, etc. On aimerait pourvoir en dire autant (mettons même la moitié moins seulement) d’Indra Thomas, détentrice du rôle-titre. Si la présence scénique est intacte par rapport à sa précédente prestation à Orange dans le même personnage, il y a un lustre à peine, la qualité vocale, affaiblie, lui interdit d’aborder désormais un tel rôle.

Avec le ténor Carlo Ventre, le problème est autre : au delà d’une présence scénique aussi banale que conventionnelle, la puissance vocale manque, la vaillance n’est pas sans écarts, la ductilité de la voix se fait prier, comme dans la scène finale, où l’on n’entend plus que l’orchestre, les changements de registre défient les lois du bel canto, encore présentes dans Aida, pour sombrer dans un vérisme finissant. En revanche, le baryton polonais Andrezj Dobber (Amonasro) s’avère convaincant, tout comme la basse italienne Giacomo Prestia (Ramfis), sans oublier la touchante et musicale Grande prêtresse de Ludivine Gombert. En revanche, l’on oubliera le roi Mikhaïl Kolelishvili, vocalement en fin de règne.

Du coup, frôlant la centaine, la masse chorale se révélait un des atouts du spectacle, offrant nettement plus d’homogénéité que la distribution soliste. Issue de cinq théâtres lyriques de région, solidement tenue en main, menée, guidée, elle offrait de superbes gradations sonores. Autre temps fort de cette représentation : la partie chorégraphique originale, vivace, vigoureuse, en un mot formidable, conçue et élaborée par Jean-Charles Gil. Dans une Égypte, pour une fois sortie de sa gangue « égypto-cléopâtrienne » grâce à la conception scénique de Charles Roubaud, la densité, la primitivité, la férocité de cette explosion chorégraphique ont certes dû déranger et choquer les balletomanes épris de ballet blanc bronzé à la façon « moubarakienne », même sur une musique écrit au mètre. Mais que de force ! Et quelle naïveté juvénile dans la danse des enfants qui échappe, pour une fois, aux standards habituels en la matière !

Mise en scène décalée, donc, placée dans l’Égypte du XIXe siècle conquérant, sous l’œil multiple des Britanniques et des Ottomans, où la guerre (dont il est tout de même question ici), prend une sauvagerie qu’éternisent nos XXe et XXIe siècles, multipliant les exemples. Si les éclairages d’Avi Yona Bueno sont banals, les vidéos de Nicolas Topor superfétatoires, les costumes de Katia Duflot sont bien en situation.

Reste, évidemment, la composante purement musicale développée par le jeune chef ossète Tugan Sokhiev. Côté fosse, la séduction ne contrebalançait point toujours le manque de prise en main véritable, côté scène. Dans la première composante, le chef, attentif, soigneux et précis, élabore une alchimie d’une infinie richesse, sachant travailler à merveille la belle pâte de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Dans la seconde, pourtant, il garde trop souvent le nez dans la partition, n’insuffle pas assez de vie intense aux solistes, bref, ne « mouille pas sa chemise » – remarquez, les grands anciens (comme Prêtre et Plasson) sont toujours disponibles en CD.

Ajoutons que la présente aussi constante que prégnante d’une chaîne nationale de télévision où, en fin d’acte et avec ses techniciens, une jeune personne, peut-être musicologue, s’est abattue sur le maestro avec le tact que l’on imagine, a pu faire croire aux spectateurs, largement financeurs des Chorégies, qu’ils étaient là pour applaudir dans une émission tv. Qu’ils se rassurent, il n’en était rien.

GC