Chroniques

par hervé könig

Albert Herring
opéra de Benjamin Britten

Buxton Festival / Opera House
- 19 juillet 2017
nouvelle production d'Albert Herring de Britten au Buxton Festival
© robert workman

Pouvoir assister à une représentation d’un opéra de Benjamin Britten sur le sol britannique est une chance qu’on ne cède à personne ! À partir d’une nouvelle de Guy de Maupassant, Le rosier de madame Husson (1887), le compositeur et son librettiste Eric Crozier ont imaginé un opera buffa qui transpose l’aventure de la petite ville normande de Gisors dans un village du Suffolk, non sans ajouter à l’affaire leur brin de sel, ô combien épicé, étrillant au passage la bigoterie rurale. Conçu juste après la guerre, Albert Herring fut créé à Glyndebourne le 20 juin 1947, sous la direction de Britten himself, non sans faire grincer quelques dentures trop rincées à l’eau croupie des bénitiers. Son argument repose sur la virginité d’un gentil nigaud à sa maman, innocence pour laquelle le comité des bonnes mœurs, sous la domination d’une douairière redoutable, le couronne publiquement. La grande agitation des préparatifs et de la fête précipite le soir même le garçon dans le doux péché [lire nos critiques DVD et CD, ainsi que nos chroniques du 28 mars 2005 et du 28 février 2009].

Le Buxton Festival a réuni une distribution plus qu’efficace où chacun s’amuse délicieusement. Les travers de tous sont brossés sans concession par l’ouvrage, ce qui ravit les chanteurs-acteurs et le public dont le rire retentit bien souvent. Jeffrey Lloyd-Roberts campe un Upford fier de lui, pompeux comme un âne bâté, à la voix de stentor [lire notre chronique du 18 juillet 2016]. L’armée du Très-Haut est éclairée par l’excellent baryton Nicholas Merryweather en Gedge, jeune pasteur au zèle monstrueux. La basse irlandaise John Molloy sert d’un organe charnu et lyrique un Superintendent Budd parfaitement psychorigide et ronchon. À la sentencieuse Miss Wordsworth, la maîtresse d’école, vieille-fille ennuyeuse, le soprano irlandais Mary Hegarty prête de bons moyens expressifs. Déjà rencontré sur la scène française [lire nos chroniques du 4 mai 2003 et du 26 novembre 2012], le beau mezzo de Lucy Schaufer se glisse dans la peau de Florence Pike, la femme de ménage du dictateur en jupons ; applaudissons sa grande présence scénique, une verve comique réjouissante, enfin le gosier bien chantant, avec son émission évidente et sa généreuse projection. La terrible Lady Billows, qui soumet toutes ces pécores, est royalement incarnée par Yvonne Howard, d’une voix franche comme Brünnhilde dont l’impact sévère, lourd d’une moralité perpétuellement accusatrice, est contrecarré par un impressionnant répertoire de mines et de grimaces qui font hurler la salle.

Remarqué l’été dernier dans l’opéra baroque [lire notre chronique du 21 août 2016], Bradley Smith est idéal dans le rôle-titre, avec l’incroyable clarté de son ténor auquel on donnerait le Bon Dieu sans confession. La musicalité est au rendez-vous, avec une conduite inspirée de la nuance. L’interprétation ne se contente pas d’amuser : le chanteur réussit à émouvoir, tant les circonstances sont cruelles à ce pauvre Albert dont l’apparente niaiserie ne demande qu’à s’envoler loin des sourcils froncés d’une mère-dragon et du livre de comptes de l’épicerie. Saluée comme bonne wagnérienne [lire nos chroniques des 29 juin et 3 juillet 2016], Heather Shipp a l’autorité vocale requise d’une Mrs Herring attachante, moins caricaturale que les autres villageois. Heureusement, Albert compte pour camarade un garçon-boucher plutôt déluré. Le baryton très directionnel de Morgan Pearse sert le positif et séduisant Sid d’un abattage scénique hors concours et d’un impact des plus précis. Kathryn Rudge n’est pas en reste en Nancy pétillante.

Cette bonne humeur du plateau, on la retrouve en fosse, avec les excellents instrumentistes du Northern Chamber Orchestra, dirigé par un Justin Doyle à l’enthousiasme communicatif. Le soin du détail (les bois !) met l’orchestration de Britten à l’honneur, sans ralentir le rythme enlevé de la représentation. Une joyeuse ironie traverse la partition qui réserve aussi des moments d’audace dont le relief est bien ici bien servi.

Pourtant, la satisfaction repose sur la qualité musicale globale et le métier ou la bonne volonté des artistes, sans pouvoir trouver véritablement appui sur la mise en scène. Le scénographe Adrian Linford recontextualise l’œuvre dans l’après-guerre où l’on devine certains manques dans le quotidien de la bourgade. Le tweed des costumes renvoie directement à cette période, de même que les réclames dans la petite épicerie familiale, la cabine téléphonique vintage ou encore le portrait officiel de Churchill qui siège en bonne place dans l’intérieur de Mrs Billows. Mais la production de Francis Matthews s’appuie sur une dynamique de bande dessinée, avec ces figures qui pourrait être sortie du crayon de Floc’h. Souhaitant mettre l’accent sur la libération du jeune Herring, Matthews invente un nouveau personnage, un étranger que danse Simeon John-Wake : lorsque le rosier s’échappe pour faire la noce, c’est avec lui, ce qui suggère que son pucelage ne résultait pas de la timidité mais de la difficulté à assumer son orientation sexuelle. On n’en sortira donc jamais de rappeler que Britten était gay ? Est-ce vraiment l’information principale ? Britten est d’abord un grand compositeur qui était gay et non un gay qui écrivait de la musique.

HK