Chroniques

par isabelle stibbe

Andrea Chénier | André Chénier
dramma di ambiente storico d’Umberto Giordano

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 3 décembre 2009
Mirco Magliocca photographie Andrea Chénier à l’Opéra Bastille
© opéra national de paris | mirco magliocca

« Elle a vécu Myrto la jeune Tarentine… »
Du poète André Chénier, mort sous la Révolution, il reste encore ces quelques vers. Il faut compter aussi sur l’opéra éponyme d’Umberto Giordano, peu représenté sur les scènes françaises, mais connu au moins pour son air célèbre La mamma morta, immortalisé par la Callas. Grâce soit donc rendue à Nicolas Joël – après les scènes de Nancy et de Limoges [lire nos chroniques du 7 mars 2008 et du 14 mars 2008] – d’inscrire au répertoire de l’Opéra de Paris cette œuvre créée à Milan en 1896.

On en sait pure fiction la trame : Chénier n’a jamais été amoureux de Madeleine de Coigny ni jalousé par le laquais Gérard. Qu’à cela ne tienne ! Comme aimait à le dire Alexandre Dumas, qu’importe de violer l’histoire du moment qu’on lui fait de beaux enfants. Encore eût-il fallu, pour que ce fût le cas, une meilleure plume que celle de Luigi Illica, pourtant l’un des librettistes de Tosca – mais il s’appuyait alors sur la pièce de Victorien Sardou, tandis qu’ici, malgré de puissants ingrédients (Révolution, amour, jalousie, trahison, prison, héroïsme, mort), le plat reste fade. Comme si cela ne suffisait pas, les deux entractes infligés à la représentation contribuent à rendre le drame tout à fait indigeste.

Quant à la musique de Giordano, vilipendée par certains pour appartenir au vérisme, elle prouve aujourd’hui que, débarrassée des scories longtemps accolées à ce genre (boursouflure orchestrale, sanglots dans la voix, coups de glottes pathétiques), elle est bien plus fine que ce que le mal canto pouvait laisser croire. Il n’est pourtant pas sûr que l’immense plateau de Bastille rende tout à fait justice à la partition. En dépit de tout leur talent, les chanteurs peinent parfois à remplir l’espace, notamment au premier acte où ils sont couverts par l’orchestre malgré une puissance vocale certaine. Ce défaut acoustique s’ajoutant à la faiblesse du livret, on s’ennuie beaucoup.

Par bonheur, les voix sauvent la soirée.
Encore plus que Marcelo Alvarez (Andrea Chénier), excellent chanteur mais piètre comédien, c’est son amante Micaela Carosi (Madeleine de Coigny) qui domine la soirée et parvient même à donner la chair de poule. L’Italienne dispose d’un soprano dramatique richement timbré, si plein de corps et de puissance qu’à ses côtés le ténor paraît presque trop clair. Malgré le tempo un peu trop lent adopté par le chef, sa Mamma morta est magnifique. De sublimes sons filés et une noblesse dans la douleur en font un moment de grâce, héritier des interprétations nuancées et intériorisées dont Callas fut la pionnière dans ce rôle. Troisième bonheur vocal de cette production : Sergeï Murzaev, qui compose un Gérard remarquable. Outre les qualités d’un timbre chaud et puissant, il est le seul qui arrive véritablement à faire sentir les possibles dérives de la Révolution dans Un di’ m’era di gioia. On n’est pas loin du recueillement conflictuel du roi dans Don Carlo. Dommage que l’air soit gâché par sa pose statique : assis dans un fauteuil, il ne peut déchaîner toute son feu.

Ce n’est pas le reproche que l’on fera à Daniel Oren, chef récemment apprécié dans La Bohème [voir notre chronique du 3 novembre 2009] qui, ici, semble trop souvent mené par la musique plutôt que la mener. Emporté par le lyrisme de la partition, il ne le contient pas assez. Plus de dynamique, de balancements, de contrastes auraient été les bienvenus.

Ah ! On allait oublier la mise en scène ? C’est qu’en vain on l’a cherchée durant toute la représentation. Peut-on appeler ainsi ces décors surchargés (la toile peinte du premier acte) ou, à l’inverse, trop dépouillés (envahissant drapeau bleu-blanc-rouge pour le tribunal révolutionnaire, immense grillage pour la cour de la prison Saint-Lazare), l’inertie auxquels n’échappent ni les chœurs ni les solistes, avec une prédilection pour les duos d’amour chantés genoux à terre face au chef, ou encore la symbolique facile du plafond craquelé, du théâtre brûlé ? Rien de tout ce que propose Giancarlo del Monaco ne permet de peindre la Terreur dans les bonnes couleurs. Si l’on veut se faire une idée juste de la Révolution, lisons Les Onze de Pierre Michon.

IS