Chroniques

par bertrand bolognesi

Antonín Dvořák | Requiem en si bémol mineur Op.89
James Conlon dirige l’Orchestre de Paris et son Chœur

Salle Pleyel, Paris
- 28 novembre 2012
le chef d'orchestre James Conlon photographié par Todd Rosenberg
© todd rosenberg

Entré il y a onze ans à son répertoire (sous la battue de Vladimir Fedosseïev), le Requiem en si bémol mineur Op.89 d’Antonín Dvořák n’avait pas été rejoué par l’Orchestre de Paris. Retrouver ce soir cette partition de 1890 qui sous nos cieux demeure relativement rare excite donc tout particulièrement l’écoute, bien sûr. Après les quatre solistes que convoque cette « messe de concert », qu’on pourrait tout aussi bien appeler concert spirituel, d’ailleurs, James Conlon gagne la scène du pas décidé qu’on lui connaît.

Voilà plusieurs années déjà que nous n’avions entendu le chef étasunien. Si toujours nous a gênés la curieuse dichotomie entre des réalisations qu’il mit au service de la musique de Zemlinsky, plutôt louables et réussies, et des manquements cruels dans ses versions d’autres pages, la lecture d’aujourd’hui ne nous réconcilie guère avec cette baguette, avouons-le.

La chose se présente plutôt bien, pour commencer. La clarté fragile du tout premier énoncé du motif en pont chromatique hésitant, sorte de mélisme en quasi-gruppetto éludé qui obsèdera toute l’œuvre, arbore une dimension presque mahlérienne qui prend bientôt une rondeur inattendue, dans le dessin précis et tendrement coloré des bois. L’introït du Requiem aeternam ainsi posé, le premier chœur soumet le texte latin à un ambitus dynamique somptueusement géré. Fort bien… quoique déjà James Conlon cible un peu trop « sûrement » les effets. Survient le ténor russe Sergueï Semishkur [lire notre chronique du 11 mars 2007] dont le timbre souligne la potentielle inspiration italienne de cet opus, grâce au mordant de l’aigu, étroitement impacté, qu’on imagine idéal dans les rôles verdiens. Se remarque un duo féminin idéalement équilibré. Le Graduale reprend la méditation qu’il élance ensuite, laissant s’envoler un « et lux perpetua » souverainement aérien qui révèle les clarinettes. Au superbe legato d’Aga Mikolaj, fort beau soprano mozartien, répond la simplicité recueillie de l’a capella choral.

À partir du Dies irae, le concert se gâte. Si la facture est plus dramatique qu’on s’y attend, le trait paraît tout de même un rien forcé. Aux appels ascendants de la trompette, dont le caractère théâtral est autoritairement surligné, succèdent des tutti volontiers brutaux, noyant l’orchestration dans des forte indifférenciés qui accablent le soyeux violonistique. Tuba mirum révèle la qualité des voix réunies : le mezzo-soprano exquisément noir d’Ekaterina Semenchuk, formidablement impacté, le timbre cuivré, égal sur toute la tessiture, de la basse Georg Zeppenfeld, imperturbable, mais encore la flamme du ténor, soumise à une nasalisation souvent disgracieuse. En revanche, si fait merveille la prégnance toute chambriste des violoncelles, envahie par le retour du motif obsessionnel lisztien, la partie chorale s’avère insuffisamment sculptée, « à-tue-tête » qui conduit immanquablement au statisme (même les syncope des cuivres graves, orgue et volée de cloches passent à la trappe). Retour à une simplicité plus saine avec Quid sum miser dont le Rex tremendae libère les gosiers féminins, magnifiques. La fugue est assurément trop droite, gommant tout ce qu’a de tragique le geste qui la précède. Le quatuor du Recordare pose un dilemme : le ténor est toujours en force, avec un aigu publicitaire clignotant sur un médium éteint, le mezzo affirme une sensualité toute théâtrale, tandis que soprano et basse s’expriment dans une sobriété de bon aloi, avec des attaques de velours et un soutient sainement tissé. Plus vertigineux encore, ce chœur du Confutatis dont les ténors se jettent « à tombeau ouvert » dans l’écorchure.

Fort heureusement, l’onctuosité de Georg Zeppenfeld vient cicatriser l’oreille dans un Lacrimosa d’une rare longueur de souffle. L’inflexion tendre du suppliant « Huic ergo parce, Deus » console vers le raffinement évident du quatuor, « Dona eis requiem » dûment chargé conclu par un Amen poignant. Dans l’Offertorium, Sergueï Semishkur commence (enfin) à nuancer son chant, à en égaliser la projection : on se réjouit alors de ce qu’un quatuor solistique de même tenue promette une meilleure issue à cette exécution. C’est sans compter une fugue que le chef assène d’une unique farine, avec une grande énergie dont cependant personne ne semble vouloir sur cette scène. Sa reprise dans l’Hostias est proprement indigeste. Ce Requiem s’achève dans une succession chaotique de fragments pâles et de brouhahas hasardés qui laisse songeur.

BB