Chroniques

par gilles charlassier

Ariadne auf Naxos | Ariane à Naxos
opéra de Richard Strauss

Opéra de Limoges
- 17 mai 2022
Ariadne auf Naxos, de Richard Strauss, à l'Opéra de Limoges
© steve barek

En résidence à l’Opéra de Limoges pour un deuxième cycle triennal, Le lab, duo formé par Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, s’appuie sur les ressources de la vidéo dans sa lecture d’Ariadne auf Naxos qui dissout les frontières entre l’œuvre et son contexte actuel de représentation, comme déjà les deux comparses l’avaient fait avec Madame Butterfly où une jeune limougeaude, balançant dans des troubles d’identité à l’heure des réalités virtuelles, confondait son destin avec celui de Cio-Cio-San. Initialement conçu comme une adaptation et une variation autour du Bourgeois gentilhomme de Molière avant de voir les deux premiers actes résumant la pièce transformé en un prologue sur les ultimes préparatifs de l’ouvrage lyrique éponyme, l’opus de Richard Strauss, sur le livret d’Hofmannsthal, se prête à une telle anamorphose des régimes du réel, dans un renouvellement de la mise en abyme théâtrale.

Ainsi les coulisses du spectacle commandé par « l’homme le plus riche de Vienne », mais dénué de tout goût véritable, empruntent-elles, par le truchement des vidéos de Pascal Boudet et Timothée Buisson, celles du théâtre limousin. Le Majordome, qui transmet les ordres du commanditaire par téléphone, apparaît dans le même type de vignette cinématographique que les autres simultanéités, de péripéties ou de pensée, du Prologue. Condensé par la déclamation de Fabien Leriche, le mépris mordant et sadique de ce domestique en chef qui se prend pour le maître des lieux – mentionné, mais jamais présent dans le texte –, finit dans la débauche d’agapes, avec ses semblables, avant le dîner mondain, préliminaires gargantuesques oubliant toute étiquette. L’acte d’opéra s’inscrit sur une immense table, à la fois espace de commensalité et plateau scénique, dans un décor de bois clair que l’on croirait copié de l’Auditorium de Bordeaux, le tout logoté, grâce aux lumières de Rick Martin, d’un N bleu, initiale de l’île grecque où se déroule Ariadne auf Naxos. La mythologie se confond avec le prosaïsme de la réalisation du spectacle et la fiction glisse vers la présence actuelle au milieu d’un public aussi fantomatique dans le livret que le propriétaire de la maison. Dans cette mise à nu de l’artifice de la scène, cette interprétation souligne l’insertion de l’intermède comique dans l’inspiration tragique avec une netteté remarquable, rehaussant la dialectique entre sublime et trivial où se noue le génie de l’ouvrage.

Dans le rôle-titre, Camille Schnoor, qui apparaît d’abord en Primadonna, affirme un engagement évident et, sans avoir à forcer le volume, une acuité évidente dans le lyrisme du personnage, qui s’oppose à la légèreté soubrette de Liudmila Lokaichuk en Zerbinetta – moins ambivalente que d’autres incarnations du personnage. À Bryan Register revient l’impossible vaillance exigée par le compositeur pour Bacchus, après les répliques du ténor dans le Prologue, en privilégiant la crédibilité de la scène [lire nos chroniques des Troyens, de Tristan und Isolde et Rusalka]. Julie Robard-Gendre dessine la juvénilité tourmentée du créateur dans la figure du Compositeur [lire nos chroniques des Quatre jumelles et d’Orphée et Eurydice]. Illustrée par Paul Schweinester (Brighella, Maître de danse), Léo Vermot-Desroches (Scaramouche, Officier), Christophe Gay (Arlequin, Perruquier), Nicolas Brooymans (Truffaldin, Laquais), la clique de la commedia dell’arte ne manque pas de couleurs. Christian Miedl fait valoir le paternalisme du Maître de musique [lire nos chroniques de Luci mie traditrici, Der Kaiser von Atlantis, Die Gezeichneten, The rape of Lucretia, Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna et Angels in America].

Jeanne Mendoche (Naïade), Iida Antola (Écho) et Agata Schmidt (Dryade) forment un trio complémentaire. Enfin, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Limoges dont il était le directeur musical depuis 2013, Robert Tuohy cisèle, pour la dernière production lyrique de son mandat, la lisibilité de l’écriture mozartienne de l’opéra de Strauss [lire nos chroniques du 11 mars 2012, du 26 avril 2016, du 26 avril 2018 et du 6 février 2022].

GC