Chroniques

par bertrand bolognesi

Ariodante
dramma per musica de Georg Friedrich Händel

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 14 mars 2007
© álvaro yáñez

C’est indiscutablement en fosse que le génie de cette soirée a élu domicile. Christophe Rousset conduit ses Talens Tyriques dans une interprétation d’Ariodante prenant volontiers appui sur les cordes graves, ce qui n’est pas si habituel, et ce dès la Sinfonia initiale, une interprétation qui évolue calmement vers une contamination de plus en plus profonde de la dramaturgie, soutenant certains passages du second acte – Scherza infida (Ariodante) ou Invida sorte (Il Re), par exemple – d’une sensibilité saisissante, jusqu’à une pâte orchestrale manifestement tragique, comme en témoigneront le début du dernier acte et l’arioso de Ginevra (Manca, oh Dei). L’approche, pour pudique et réservée qu’elle paraisse, fait peu à peu son chemin dans les passions qui traversent l’argument, jusqu’à toucher irrésistiblement l’écoute.

L’on ne saurait en dire autant du plateau vocal.
Certes, on en relativisera l’appréciation des timbres, tenant compte des sévérités de l’acoustique du lieu à l’égard des voix. Il n’empêche que l’on rencontre ici un Odoardo (Nicolas Maire) avantageusement sonore mais assez peu stable, et un Roi au grain présent dont, étrangement, l’impact se détériore régulièrement dans l’aigu (soit détimbré, soit si enflé qu’il quitte la note). On remerciera cependant Olivier Lallouette pour une Invida sorte (Acte II) tout à fait honorable. Quant au Polinesso de Vivica Genaux, il ne convainc pas plus. Certes, l’ingratitude de la couleur suffit à elle seule à camper cet affreux personnage, dispensant peut-être l’incarnation, d’ailleurs, mais la place de l’émission refuse à se définir et la confidentialité des arie contraste cruellement avec l’efficacité des recitativi. Cela dit, le chant demeure virtuose et la chanteuse fait partie du trio de ceux qui, ce soir, respectent les hauteurs, la grande surprise restant de constater le peu de soin que cette distribution veut bien accorder à la justesse.

À commencer par le rôle-titre, Angelika Kirchschlager, qui offre un confort d’écoute évident, un art de la nuance indéniable, un certain lyrisme, même – Tu, preparati a morire (Acte II) –, mais une vertigineuse imprécision menant droit à un Scherza infida dépourvu d’émotion. À l’inverse, Topi Lehtipuu captive l’oreille dès les premières phrases de Lurcanio, émises avec franchise dans une ligne toujours remarquablement menée. Pourtant, le corps du grave se perd souvent et l’on doit bien avouer avoir entendu quelques notes approximativement situées. Sur le chapitre de la justesse, les deux autres protagonistes irréprochables sont Dalinda et Ginevra. Dans la premier, Jaël Azzaretti présente sans doute le timbre le plus gracieux de cette équipe, un timbre doté d’un aigu facile et lumineux qu’elle mène avec autant de délicatesse que d’intelligence. Au dernier acte, Neghittosi (air essentiel qui, en illustrant le désarroi sentimental devant le crime, amorce le possible amour pour un autre homme) trouve une sensibilité à sa mesure. De même saluera-t-on le beau duetto (Dite spera, avec Lurcanio, Acte III) donné dans une fraîcheur miraculeusement retrouvée.

Enfin, dans le rôle de la Princesse injustement déshonorée, Danielle De Niese montre dès la cavatine une saine souplesse, puis une exemplaire agilité dans Volate, amori. C’est néanmoins à partir du second acte qu’une certaine aigreur de la couleur s’atténue et que l’aigu s’élargit. Outre une exactitude sans faiblesse, le jeune soprano s’impose par un bel investissement dramatique, conduisant somptueusement son aria du deuxième acte. De fait, plus le dénouement approche, plus la chanteuse s’avère émouvante (avec un Io ti bacio d’une subtile tendresse, entre autres).

Comment représenter aujourd’hui les opéras de Händel ?
La question est de taille, à en juger par les nombreux tâtonnements auxquels s’adonnent les metteurs en scène, ici et là. Lukas Hemleb respecte la datation de l’intrigue et son contexte chevaleresque par un dispositif ingénieux, mais vite épuisé, qui matérialise l’enfermement provoqué par les passions ou par le pouvoir politique. Cet espace volontairement étroit trouve tout son relief grâce aux danseurs – chorégraphie d’Andrew George – et, plus particulièrement, à la drolatique déambulation d’un Fou, facétieux et insolent (que son humeur soit soudain gagnée par la circonstance funèbre du second acte est, d’ailleurs, fort touchant). Une vraie réflexion sur l’œuvre habite la démarche générale de cette réalisation, induisant une pertinente rhétorique du refuge, mais on regrettera que son exploitation, pour respectable qu’elle soit, fasse reculer le drame qu’elle s’évertue d’expliquer plutôt que de comprendre.

BB