Chroniques

par irma foletti

Armida | Armide
opéra d’Antonín Dvořák

Wexford Opera Festival / National Opera House
- 28 octobre 2022
au Wexford Opera Festival 2022, une rareté : ARMIDA d’Antonín Dvořák (1904)
© clive barda

La figure d’Armide a inspiré, dit-on, une centaine d’opéras et de ballets, de nombreux amateurs du répertoire lyrique ayant eu l’occasion d’apprécier les versions d’Händel, Lully, Gluck ou encore Rossini. Celle d’Antonín Dvořák reste une curiosité, bien dans la cible du Wexford Festival Opera qui, depuis sa création en 1951, défend la redécouverte d’œuvres rares, voire absentes des affiches des maisons d’opéra [lire nos chroniques de Dinner at Eight, Il Bravo et Mala vita, par exemple]. En 1904, la première de cette Armida, décalée de trois semaines après une répétition générale désastreuse menée par un chef remplaçant et inexpérimenté, ne fut pas un grand succès. Le titre n’a jamais rencontré par la suite le même succès que Rusalka, créée trois ans auparavant [lire nos chroniques des productions de Jim Lucassen, Wieler et Morabito, Otto Schenk, Dieter Kaegi, Stefan Herheim, Robert Carsen, Nicola Raab, Melly Still et Stefano Poda]. La soixante-et-onzième édition du festival irlandais redonne donc sa chance à l’ouvrage, avec les bonnes conditions qui concourent à le remettre à sa juste place.

En premier lieu, la production d’essence classique d’Hartmut Schörghofer – il signe également les élégants décors et les splendides costumes – constitue un écrin idéal à l’action qui évolue en divers lieux au cours des quatre actes. La cour du roi Hydraot à Damas est d’abord évoquée par des murs blancs, orientaux, au fond, tandis qu’une paroi sur toute la hauteur sépare en diagonale le plateau en deux parties, les protagonistes évoluant à l’avant. Ces cloisons peuvent être translatées et autorisent ainsi une circulation entre les deux espaces, les lumières de D.M. Wood jouant sur le degré d’opacité de la surface, entre vitre transparente et quasi-miroir. Le réalisateur s’appuie par séquences sur les vidéos de Raffaele Acquaviva projetées en fond de scène, comme le campement des croisés à l’Acte II ou les plantes vertes pour évoquer au III le jardin enchanté d’Armide. Dans cet espace réduit à sa moitié sur scène, on sent les choristes sans doute un peu à l’étroit pendant les grands tableaux collectifs, mais le jeu des acteurs est, dans l’ensemble, dense, fluide et bien réglé.

Et puis la musique est familière pour qui connaît le compositeur, en particulier sa Rusalka dont on verrait presque la figure à l’écoute de la première partie de l’Ouverture, entre sérénité des douces cordes accompagnées par la harpe et passages brillants, ceux-ci évoluant ensuite vers un caractère plus guerrier soutenu par davantage de cuivres. Pourtant, un peu plus tard au cours de l’air d’entrée du rôle-titre, on ne peut pas s’empêcher de penser à la chanson à la lune de la nymphe des eaux, suivant la même structure de crescendo final avant la note terminale en nuance piano. Malgré de petites imperfections techniques chez certains pupitres de l’Orchestra of Wexford Festival Opera, le chef Norbert Baxa fait vivre cette partition avec énergie, donnant belle allure aux moments les plus éclatants et maintenant une haute dose de tension dramatique lors des multiples face-à-face parmi le triangle amoureux : Ismen aime Armida, amoureuse de Rinald, lui-même enchanté par la magicienne, mais qui revient à la raison avec l’aide de ses amis croisés, Rinald tuant Ismen, puis Armida méconnaissable en chevalier noir.

En Armida, le soprano Jennifer Davis domine nettement la distribution par son timbre séduisant et homogène en qualité et en volume sur toute l’étendue de la tessiture. La musicalité est sans faille, comme son grand engagement théâtral [lire nos chroniques de Mitridate et de Fidelio]. Le ténor Gerard Schneider n’a sans doute pas les moyens naturels pour répondre à toutes les exigences du rôle de Rinald, en particulier le caractère spinto qui lui fait défaut. Mais il le défend avec intelligence, variant même en voix de tête les passages les plus doux (duo élégiaque avec Armida en fin de II), quitte à amenuiser la puissance en d’autres endroits pour éviter l’accident, comme au cours du grand air en début d’Acte IV. Le baryton Stanisław Kuflyuk en Ismen, troisième rôle d’importance, fait entendre une voix saine et projetée vaillamment, avec toutefois des notes graves plus discrètes. Quant à elles, les basses Jozef Benci (Hydraot) et Jan Hnyk (Petr) ne manquent pas de graves ; leurs instruments sont profonds convoquent aisément un répertoire slave (Boris Godounov en étant un bon exemple), avec avantage au second pour l’ampleur vocale et la tenue du registre aigu.

Le reste de l’équipe complète positivement la prestation. Le baryton Rory Dunne chante d’abord le Muezzin du dernier étage de la salle, avant d’assumer plus tard la partie de Bohumir. Les deux compères Josef Moravec (Sven, ténor) et Josef Kovačič (Ubald, basse) tirent Rinald des griffes d’Armida. Les artistes du Wexford Festival Opera Chorus répondent au mieux aux intentions du chef, parfois avec d’infimes décalages, en début de représentation, alors que les passages techniquement plus compliqués sont idéalement coordonnés, comme lorsque les croisés font leur première apparition en fond de salle... faisant sursauter bon nombre de spectateurs !

IF