Chroniques

par bertrand bolognesi

Armide
tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully

Opéra Royal, Château de Versailles
- 11 mai 2012
Armide de Lully, par les artistes de Toronto, au Château de Versailles
© bruce zinger

Quelques mois après sa mise en scène de Persée, la neuvième tragédie en musique de Lully (1682), Marshall Pynkoski se plongeait dans l’avant-dernière, Armide, également composée sur un livret signé Quinault. Nous avions plutôt favorablement saluée la production citée [lire notre critique du DVD] ; celle-ci, qui « tourne » depuis 2005 déjà, se caractérise par un même soin du jeu, de la construction de chaque protagoniste et d’une volonté de vérifier un certain code gestuel. Moins heureuse s’avère cependant l’inscription de la scénographie (Gerard Gauci) dans un Orient à la saveur surannée. Certes, on peut aisément admettre que le public de la création (1686) se fût fort diverti devant un tel décor de Mille et une nuits mâtiné de couleurs volontiers « bollywoodiennes ». De fait, la succession de tableaux tous plus ou moins fantasmatico-exotiques trouve assez évidemment place sur la scène de l’Opéra Royal, boîte à magie qui s’accommode avantageusement de sa poésie naïve.

Mais si la direction d’acteurs n’est pas laissée au hasard, si n’est pas négligée la dimension psychologique de l’ouvrage, certaines illustrations (les flammes peintes des acolytes de La Haine, par exemple) s’accusent en-deçà de ce qui contente le regard d’aujourd’hui. Aucune incohérence, rien de déshonorant ; tout juste une maladresse relative dans une esthétique particulière. Le « regard d’aujourd’hui » trouvait-il plus son compte face aux fadeurs à l’humour douteux d’un Carsen (lire notre chronique du 14 octobre 2008] ou dans la méditation d’une conception plus radicale [lire notre chronique du 18 septembre 2010] ? Cela reste à prouver…

En 1686, l’illustre Florentin de la Cour abandonne la mythologie grecque et investit la littérature chevaleresque. Armide emprunte à La Jérusalem délivrée du Tasse (1681), comme tant d’autres opus musicaux antérieurs, contemporains ou encore à venir. Cinq actes avancent dans l’entrelacs des passions contraires, des leurres, colères, déceptions, humiliations et repentirs de la magicienne Armide, éprise de celui qui d’abord apparaît comme l’objet de sa haine, l’invincible chevalier Renaud (une histoire qui ferait encore les délices d’un Cocteau… en 1943 !).

Outre le Tafel Music Baroque Orchestra, débarqué de Toronto, ce soir sous la direction sobre, vive et ténue de David Fallis, les danseurs de l’Atelier Ballet dans une chorégraphie signée Jeannette Lajeunesse Zingg, nous retrouvons Les Chantres du CMBV, doctement préparés par Olivier Schneebeli, et dont aisément convainc la prestation. On ne saurait en dire autant d’un plateau vocal assez inégal, quoique, là encore, jamais vraiment en faute. Si les voix féminines ne séduisent guère, la qualité des timbres n’est pas en cause, mais bien plutôt une unité de style livrée à elle-même, pourrait-on dire. Aussi saluons Peggy Kriha Dye dans le rôle-titre qui, elle, s’évertue à un chant proche de la déclamation théâtrale, tandis que ses consœurs chantent copieusement et jusqu’à l’incompréhensible. Assurément, ce sont ici les hommes qui satisfont le mélomane. Le jeune Québécois Aaron Ferguson campe un Chevalier Danois qui fait gentiment sourire, comme il se doit, d’un ténor clair à la diction soignée, tandis que le baryton-basse Curtis Sullivan surprend dans une Haine solide et puissante, allégorie dont s’impose la stature physique. João Fernandes, toujours plus présent sur la scène baroque, livre un Hildraot de grande classe, avec l’évidence vocale qu’on lui connaît. Mais c’est surtout l’excellent Colin Ainsworth qui gagne les suffrages : d’une couleur indiciblement claire, d’une inflexion remarquablement expressive, d’une vaillance qui n’a d’égal que l’art de la nuance avec lequel il en use, le ténor canadien offre un Renaud qui laisse pantois.

BB