Chroniques

par nicolas munck

autour de 1914 – Debussy, Magnard, Nielsen et Ravel
Orchestre national de Lille, Adam Laloum, Jean-Claude Casadesus

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 21 juillet 2014
À Montpellier, Adam Laloum joue avec l'Orchestre national de Lille
© marc ginot

Suite au concert de l’Orchestre national de France du 16 juillet dernier (programme Wagner, Stephan, Reger et Brahms) et lien entre les deux volets chambristes des 21 et 22 juillet, Autour de 14, l’une des thématiques clés de cette édition 2014 du Festival de Radio-France Montpellier Languedoc-Roussillon, se décline une nouvelle fois dans un menu de l’Orchestre national de Lille associant Magnard, Ravel, Debussy et Nielsen. Alors que le premier concert se plaçait sous l’angle allemand, donnant à entendre ce qui pouvait être programmé dans une salle d’outre-Rhin en ces périodes troublées, le second se place côté français dans une programmation intimement connectée au conflit mondial.

Ainsi trouve-t-on en première partie, encadrant le Concerto pour piano et orchestre en ré majeur « pour la main gauche » de Ravel, le Chant funèbre Op.9 d’Albéric Magnard et la très courte Berceuse héroïque de Debussy. Alors que la plupart des œuvres jouées ce soir présentent une proximité chronologique avec les successives entrées en guerre, celle de Magnard fait toutefois office d’exception (itou pour Ravel). Au delà de la dimension anecdotique, on retiendra plutôt l’héroïsme d’un compositeur tué par l’invasion allemande alors qu’il tentait de défendre son manoir de Baron [lire notre chronique du 4 avril 2014]. Composé en 1895 et créé en 1899, Chant funèbre, à voir comme une élégie, marque avant tout l’oreille par une continuité tragique que résout partiellement un effet de cloches descendantes dans le final. Bien mené par Jean-Claude Casadesus, son directeur musical, l’Orchestre national de Lillerend parfaitement compte de la tension harmonique déployée par une orchestration compacte.

En 1914, alors que le milieu musical connaît une déferlante de mobilisations, certains compositeurs vivent le conflit d’un point de vue quelque peu différent. C’est le cas de Claude Debussy, retenu à Paris par l’évolution fulgurante de sa maladie. En plus de positions antigermaniques qui se radicalisent, il multiplie sur la période hommages et concerts de soutien pour Le vêtement du prisonnier de guerre. Composée à l’hiver 1914, la Berceuse héroïque, dont la dédicace est adressée au « Roi Albert I de Belgique et à ses soldats », s’inscrit pleinement dans ce contexte. Avec ses sonneries de trompette aux accents patriotiques, cette page détonne dans la production du compositeur français. L’orchestration y est sombre, quasi exclusivement polarisée dans les registres graves, et donne parfois l’impression de ne pas être de la main de son auteur. Malgré la pertinence de ce choix de programmation, elle ne laisse que peu d’impact auditif en contrepoint de l’opus concertant de Ravel.

Lui aussi connecté de manière collatérale à la grande guerre (commande du pianiste Paul Wittgenstein, amputé du bras pendant le conflit), le Concerto en ré majeur de Maurice Ravel est ici porté par le jeune et brillant Adam Laloum [photo]. Plus dense et infiniment plus riche, le contenu musical de cette page incontournable du répertoire permet d’observer, plus en détail, les propositions interprétatives de la phalange lilloise. C’est incontestablement une belle formation que nous n’avions pas entendue depuis longtemps. Sur les premiers temps de l’œuvre (où se développe le fameux solo de contrebasson), nous « tiquons » malgré tout sur un choix de tempo rapide qui laisse filer les éléments de discours. D’autre part, et dans la marche sur carrure à quatre ternaire, nous notons de légères imprécisions de mise en place et rythmiques qui viennent dangereusement parasiter la clarté d’ensemble. En revanche, cette version bénéficie d’une parfaite maîtrise des plans, mettant en lumières d’infinis détails (harmoniques, cors bouchés, relais de soli instrumentaux, etc.) dans équilibre idéalement adapté aux choix du soliste. L’oreille est sur ce point séduite par une sonorité riche, juste, jamais dure, accompagnée d’un jeu « en bas » en contact permanent avec le clavier. « Concertant/chambriste », Adams Laloum reste dans une écoute permanente et active de l’orchestre contribuant largement au maintien d’un son global. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas et une série de bravos fusent du parterre et du premier balcon. En bis, jouant la carte du contraste le pianiste choisit Träumerei extrait des Kinderszenen de Schumann –un clin d’œil bien à propos.

Composée entre 1914 et 1916, la Symphonie Op.29 n°4 « det Uudslukkelige » (L’inextinguible) du Danois Carl Nielsen occupe toute la seconde partie de cette soirée. Structurée en trois mouvements enchaînés aux contrastes saisissants, elle surprend à plus d’un titre. Usant alternativement des ressources du tutti ou de situations presque chambristes, l’écriture orchestrale présente une alchimie parfois inédite dans laquelle on peut entendre, pour exemple, l’effectif de cordes au complet ponctué d’impacts sforzando de timbales. Cet instrument est ici particulièrement mis en lumière (sur le plan rythmique, harmonique et parfois même contrapuntique), avec un dernier mouvement qui prend souvent des allures de double concerto pour timbales. La performance, le parfait équilibre des relais dynamiques et la justesse d’intonation des deux timbaliers du soir (Laurent Fraîche et Romain Robine) sont à souligner. Dans cette virevolte, l’ONL tire habilement son épingle du jeu.

NM