Chroniques

par bertrand bolognesi

Bayerisches Staatsorchester
Diana Damrau, Kirill Petrenko

œuvres de Strauss, Tchaïkovski et Wagner
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 12 septembre 2016
à la tête de son Bayerisches Staatsorchester en tournée, Kirill Petrenko à Paris
© wilfried hösl

Neuf, elles sont neuf, les villes honorées par la tournée européenne du Bayerisches Staatsorchester (du 5 au 21 septembre). Après Milan, Lucerne, Dortmund et Bonn, la prestigieuse formation bavaroise passe par Paris où elle ouvre la nouvelle saison du Théâtre des Champs-Élysées.

« Notre tradition orchestrale ayant pour piliers Strauss et Wagner, annonce le directeur de l’Opéra national de Bavière, Nikolaus Bachler, il est tout naturel que le programme propose en majorité des œuvres de ces deux compositeurs. Mais nous ne sommes pas uniquement ambassadeurs du romantisme allemand, c’est pourquoi nous jouerons aussi György Ligeti ». À y regarder de plus près, encore sont-ce Tchaïkovski et Bartók que Kirill Petrenko et ses musiciens promèneront jusqu’à Francfort, en passant par Luxembourg, Berlin et Vienne, avec deux soirées at home *.

Le menu parisien demeure romantique, cependant, avec les deux Allemands évoqués, puis le maître russe. La baguette de Petrenko ordonne une véritable déflagration à l’Ouverture des Meistersinger von Nürnberg dont on admire bientôt la fluidité confondante. Si certaines qualités à l’œuvre lors de la représentation munichoise de l’été sont au rendez-vous [lire notre chronique du 31 juillet 2016], dont un ambitus dynamique d’exception, tour à tour sculpté dans la masse et distillé dans une couleur chambriste, le chef cède à l’enthousiasme avec une fougue qui finit par desservir sa lecture : le dernier tiers s’alourdit jusqu’à la saturation – on retrouve une tendance qui ne fit guère le bonheur de la Fantastique et de La Valse à Budapest l’an passé [lire notre chronique du 19 avril 2015], contredisant ce flamboiement initial qui tant sait ravir.

À maintes reprises Kirill Petrenko a prouvé une grande affinité avec la musique de Strauss [lire nos chroniques du 12 octobre 2015, du 18 mars 2014 et du 7 décembre 2013]. Outre la Sinfonia domestica Op.53 de 1902, la tournée présente les Vier letzte Lieder Op.150 (1948) que le soprano Diana Damrau abordait pour la première fois en public il y a tout juste une semaine. La souplesse de l’orchestre fait florès dans Frühling, remarquablement porté par tous les pupitres, dont des flûtes idéales. Sans démériter, la voix ne possède peut-être pas l’ampleur requise. Le souffle est parfaitement géré, troussant un atour naturel au phrasé, mais le chant semble corseté dans cet allegretto virevoltant. Le plus introspectif September bénéficie d’un soin amoureux du chef, révélant une moire schrekérienne et une délicate demi-teinte, habitée d’une gravité subtile, par delà l’andante pris un peu vite. Là, Diana Damrau est à son avantage. « Nun der Tag mich müd gemacht… »… la main de Petrenko maintient sagement la nuance générale au plus bas, afin de laisser naître la voix et pour mieux libérer le violon solo – si l’on remarquevolontiers le talent d’un chef à faire percevoir chaque détail d’orchestration au plus fort du tutti, c’est encore plus frappant dans de si sensibles PPP. Pourtant, le soprano reste en retrait de Beim Schlafengehen, la tentative n’atteignant pas sa promesse. Im Abendrot n’est guère probant, avec un bas-médium et un grave enfouis. Peut-être y verra-t-on une sorte de timidité de l’artiste qui dans l’avenir osera investir ces Lieder d’un legato plus généreux.

Du corpus tchaïkovskien, l’on joue principalement les Sixième et Quatrième. C’est la Symphonie en mi mineur Op.64 n°5 qu’a choisie Kirill Petrenko, dont nous applaudissions l’Eugène Onéguine à Munich [lire notre chronique du 4 janvier 2014]. D’emblée, le recueillement infini de l’introït andante absorbe impérativement l’écoute. C’est un Petrenko très intérieur que l’on découvre alors, densément concentré, presque farouchement. Une discrétion dangereuse habite la naissance du mouvement lui-même (Allegro con anima en mi mineur), bientôt investi de grands contrastes. L’autorité des cuivres, le soyeux des cordes, la véhémente tension de l’idée fixe bouleversent. Alors que le motif de transition passe habituellement à la trappe, le voici dessiné avec minutie pour mieux mener à l’irrésistible tendresse de la danse, caressante et lyrique. Fougue et grâce se conjuguent, sans déroger à la couleur (luxueux basson final, par exemple). Le Cantabile suivant surgit de profondeurs abyssales. La mélodie désolée de cor s’élève jusqu’à la perdition. Le public ne bouge pas, nul ne bronche. Entre espoir et ruine, l’interprétation trace le chemin d’un être tant vulnérable qu’inspiré, Tchaïkovski aux noires obsessions.

Une lumière rendue nostalgique par l’acidité des cuivres bouchés envahit la Valse. Le suspens n’en démord pas. Le geste est leste, mais dru, sans rubato, ébaudi dans sa régularité, menaçant dans ses réminiscences. La focalisation subjugue dans le tragique Andante maestoso où s’annonce Mahler. De ce final, l’Allegro vivace tournoie dans une frénésie indicible – faux triomphe pérorant, nauséeux, dérisoire, coups du sort, épique fébrilité : cette Cinquième par Petrenko, âpre et maniaque, coupe le souffle ! Dans l’immédiat, et après l’Ouverture de Rouslan et Lioudmila (Glinka) en bis énergiquement fleurie, de riches heures sont à venir à la Bayerische Staatsoper, mais aussi à la Philharmonie berlinoise, d’ici quelques mois.

BB

* vous pourrez entendre et voir celui du 20 septembre
en direct sur le site de la Bayerische Staatsoper