Chroniques

par michèle tosi

Benvenuto Cellini, opéra d’Hector Berlioz (version de concert)
Chor der Oper Köln, Gürzenich-Orchester Köln, François-Xavier Roth

Ferdinand von Bothmer, Miljenko Turk, Emily Hindrichs, Katrin Wundsam, etc.
Festival Berlioz / Château Louis XI, La Côte-Saint-André
- 28 août 2016
D'Hector Berlioz, François-Xavier Roth joue Benvenuto Cellini (1838)
© simon barral baron | festival berlioz

Jamais encore Benvenuto Cellini, le premier opéra d'Hector Berlioz, n'avait résonné dans la cour du Château de la Côte-Saint-André. Créé en 1838 à l'Opéra de Paris, avec le célèbre Gilbert Duprez dans le rôle-titre, l'ouvrage, peu plébiscité par le public parisien et moins encore par la critique, est victime de la censure. Berlioz est obligé de remanier son œuvre qui connaitra plusieurs versions, dont celle, très amputée, de Weimar (1852).

Durant le festival, le musée Hector Berlioz consacre une exposition entièrement dédiée à l'opéra, retraçant son histoire mouvementée et ses diverses interprétations, de 1838 à nos jours. Pour l'heure, c'est la version Paris I, soit l'originale, qui est entendue sous la conduite époustouflante de François-Xavier Roth donnant, avec le Gürzenich-Orchester Köln Chor der Oper Köln et un plateau éblouissant, la juste (dé)mesure du projet.

Le personnage de Cellini, ciseleur florentin de la Renaissance, dont la vie très active et agitée ne pouvait que plaire à l'auteur de la Fantastique, incarne le génie artistique épris d'amour et de liberté dans lequel, bien évidemment, Berlioz se reconnaît. Le livret, que le compositeur pensait confier à Alfred de Vigny, fut finalement rédigé par Léon de Wailly et Auguste Barbier. Il s'inspire du célèbre épisode de la Vita (Mémoires du sculpteur) évoquant la fonte du Persée tenant la tête de Méduse. Accusé du meurtre de Pompeo (Acte I) lors de l'enlèvement manqué de Teresa, Cellini obtiendra le pardon du Pape et la main de celle qu'il aime s'il livre dans les vingt-quatre heures l'œuvre commandée par le pontife. Manquant de métal, il sacrifie tous les ouvrages d'orfèvrerie de son atelier pour fondre la sculpture.

Shakespearien dans l'âme, qui aime le mélange des genres et la pluralité des styles, Berlioz tisse sa dramaturgie sur fond de Carnaval et d'Arlequinade. En deux tableaux (Lundi Gras et Mardi Gras), le premier acte, où Cellini traqué par Balducci (père de Teresa) et Fieramosca (le prétendant) organise avec son ami Ascanio l'enlèvement de sa belle, est aussi pour Berlioz le lieu de mettre en scène le chœur (ciseleurs, buveurs, voisines, etc.) et de confondre avec une virtuosité inouïe les personnages de la fête (le Peuple, Arlequin, Pierrot…) et ceux du drame.

Le montage kaléidoscopique d'actions, de rythmes et de couleurs s'entend dès l'Ouverture où le ton est donné. Cette page d'envergure, qui concentre toutes les facettes de l'histoire, est brossée avec une énergie fougueuse par un orchestre galvanisé par le geste infaillible de Roth ciselant une partition d'une folle exigence. Berlioz est sans cesse à l'affût du texte et de sa traduction sonore, sollicitant les cuivres et multipliant les trouvailles – l'enclume comme chez Wagner, le marteau comme chez Mahler. Après le cor anglais pour Arlequin, c'est l'ophicléide, invité sur le devant de la scène, qui fait valoir la singularité de son timbre lors d'un solo inoubliable dans la cavatine de Pierrot.

Berlioz s'est beaucoup plaint à son époque de la médiocrité des chanteurs sans guère mesurer la difficulté engendrée par son écriture vocale, réclamant tout à la fois agilité, clarté d'élocution et puissance, autant de qualités que réunissent les chanteurs de ce soir. Pour Cellini, Berlioz envisage une voix « aimante et idéale de ténor ». Celle de l'Autrichien Ferdinand von Bothmer est vaillante et joliment timbrée, s'acquittant en douceur des aigus parfois extravagants de la partition. Le soprano nord-américain Emily Hindrichs a cette voix longue et flexible qui convient, expressive et tendre elle aussi, même si l'intensité lui manque parfois. Rôle travesti, Ascanio est incarné par le mezzo-soprano autrichien Katrin Wundsam, impressionnante dans son air à refrain du quatrième tableau qui dévoile des graves somptueux. Miljenko Turk (Fieramosca) est un baryton à la technique irréprochable et au talent scénique certain, lui qui se fera copieusement rossé par la cohorte des « voisines ». Autre baryton, remarquable par la souplesse et le velouté de son timbre, est l'Autrichien Wolfgang Stefan Schwaiger, Pompeo tombant sous les coups de Cellini. Très en verve dans le premier acte, Vincent Le Texier endosse aisément le rôle un rien conventionnel et peu nuancé du père trompé par les siens (Balducci). Enfin le Pape de Nikolaï Didenko se distingue par l'envergure lyrique et l'autorité d'une voix au grain sombre.

Superbement servie par le Chor der Oper Köln, l'écriture chorale est un des ressorts de la dramaturgie de Berlioz, donnant lieu à quelques effets de spatialisation fort réussis. Dans le début du deuxième acte, des coulisses nous parvient le chœur litanique des moines blancs, en latin, sur le duo plus animé de Teresa et Ascanio – un procédé de superposition très berliozien. C'est à Mozart enfin auquel on songe (celui des Nozze di Figaro) dans l'admirable trio bouffe entre Cellini, Teresa et Fieramosca (chantant en aparté), une scène des plus virtuoses jouée scherzando, avec une précision et une délicatesse prodigieuses.

« Je jure, déclarait Berlioz en réexaminant son opéra après treize ans d'oubli, que je ne retrouverai plus jamais cette verve et cette impétuosité Cellinienne, ni une telle variété d'idées ». C'est vers ce sommet jamais égalé que nous porta François-Xavier Roth, maitre d'œuvre d'une soirée d'exception.

MT