Chroniques

par bertrand bolognesi

Berlioz, Mozart et Ravel par Gustavo Dudamel
Orchestre de l’Opéra national de Paris

Philharmonie, Paris
- 8 novembre 2021
Pour sa prise de fonction à Paris, Gustavo Dudamel joue Berlioz, Mozart et Ravel
© elisa haberer | onp

Succédant à Philippe Jordan, parti vers d’autres horizons, Gustavo Dudamel a pris ses fonctions de directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris le 1er août dernier. Pour marquer son entrée à la tête de l’institution, le chef vénézuélien, qui compte quarante printemps depuis janvier, a choisi de mener un concert symphonique qui rend hommage au répertoire français et à Paris. À commencer par Alborada del gracioso de Maurice Ravel, quatrième page des Miroirs pour piano de 1905 reconsidérée par le compositeur quatorze ans plus tard pour l’orchestre. Élégance et relief caractérisent dès l’abord la lecture de cette aubade, dirigée dans une efficace économie du geste qui invite plutôt qu’elle ne soumet. La grâce du basson de Théo Sarazin fait merveille dans le trait qui lui est confié, quand Dudamel soigne jalousement la sensualité mystérieuse de l’alliage timbrique à le ponctuer. Mené de docte archet par Aurélien Sabouret, les violoncelles se font tout velours, à l’instar de cordes infiniment précises. Dépourvue de contraste extravagant, l’interprétation, parfaitement dans le caractère de l’œuvre pourtant, affirme un goût exquis.

Seize ans après cette soirée à Verbier où nous découvrions et applaudissions un chef de vingt-quatre qui remplaçait brillamment Salonen dans un programme Berio, Revueltas et Stravinsky [lire notre chronique du 30 juillet 2005], nous nous réjouissons aujourd’hui de son arrivée à l’Opéra où il dirigea La bohème [lire notre chronique du 1er décembre 2017]. En se penchant ce soir sur la Symphonie en ré majeur K.297/300a, composé par Mozart à Paris en 1778, il salue à la fois notre cité et la perfection d’un classicisme cependant inventif. Et c’est là qu’il s’avère convaincre le moins, curieusement. La sonorité générale de l’Allegro assai paraît un peu fruste et l’appui des modulations est parfois maladroit, mais c’est principalement l’Andante qui déçoit, quand la réalisation de l’Allegro conclusif peut réconcilier avec cette approche inégale qui ne saurait prétendre avec le niveau autrefois défendu par le musicien dans Beethoven [lire notre chronique du 5 octobre 2007].

Qui, sinon Berlioz, pouvait naturellement s’inscrire dans tel programme ? Après avoir fort bien joué à Notre-Dame la Grande messe des morts de 1837 [lire notre chronique du 22 janvier 2014], Gustavo Dudamel s’attelle ce soir à la Symphonie fantastique de 1830, à la Philharmonie de Paris. Rêveries survient alors dans une ciselure positivement précieuse, déléguant ensuite à Passions, la seconde partie du premier mouvement, toute la tension qui lui est nécessaire. Les ruptures de tempo sont dès lors bien vues – fantastiques, littéralement. Outre de faire entendre les grandes qualités des musiciens d’un orchestre qui ne quitte point si souvent la fosse, cette approche est habitée du souffle de l’épopée amoureuse berliozienne, avec ses enthousiasmes, ses souvenirs, son amertume, ses désirs de vengeance. La baguette latino fait redécouvrir Le bal par une insistance toute personnelles sur certains aspects et la place des deux harpes, remarquables (David Lootvoet et Sylvie Perret). Recueillie comme rarement, la Scène aux champs, où les bois enchantent immanquablement, transmet une touffeur pleine de danger, bientôt gagnée par un lyrisme grand format. La vigueur des violoncelles le dispute à l’efficience des quatre bassons, à la scansion des timbales et à des cuivres méphitiques à souhait dans une Marche au supplice qui, comme il se doit, promet le pire sort. De fait, le Dies Irae du Songe d’une nuit de sabbat vient abattre son marteau sur un airain de furieuse augure, ici remarquablement conduit à son apothéose.

Grand succès public, donc, pour l’Orchestre de l’Opéra national de Paris et son nouveau patron, en amont d’une tournée qui les conduira le 19 novembre à Toulouse et à Barcelone le 21. Après avoir apprécié son art dans des opus signés Mahler, Korngold, Strauss, Brahms et Messiaen [lire nos chroniques du 4 juin 2007, des 26 juin et 24 octobre 2009, du 3 août 2011, des 13 et 20 avril 2012, enfin du 16 janvier 2016], souhaitons la bienvenue à Gustavo Dudamel dont nous découvrirons bientôt la verve opératique dans Le nozze di Figaro au Palais Garnier (du 21 janvier au 18 février 2022) et dans Turandot à la Bastille (du 4 au 30 décembre 2021) !

BB