Chroniques

par bertrand bolognesi

Bernard Foccroulle | E vidi quattro stelle
œuvres de Gagliano, Liszt, Luzzaschi et Monteverdi

Nikolaï Borchev, Alice Foccroulle, Yoann Tardivel, InAlto, Ouri Bronchti
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 4 juin 2022
"E vidi quattro stelle" de Bernard Foccroulle à l'Auditorium de Radio France
© fondation martin bodmer

L’année 2021 était celle du sept centième anniversaire de la naissance de Dante Alighieri, le plus fameux des Florentins. Quelques mois après l’achèvement de diverses commémorations, le Festival d’Aix-en-Provence créera, en juillet prochain, un nouvel opéra de Pascal Dusapin, Dante, il viaggio. Bien avant cela, l’auditorium de la Maison ronde accueille le compositeur et organiste Bernard Foccroulle dans un programme entièrement conçu autour de la figure du poète (dont le profil, peint par Botticelli à la toute fin du XVe siècle, illustre la présente chronique).

La première partie mêle des pages baroques à un opus de Liszt, hanté par les vers du Toscan, comme en témoignent Après une lecture de Dante (1837) et la Dante-Symphonie (1840-56) dont un passage a donné naissance à Einleitung, Fuge und Magnificat aus der Sinfonie zu Dantes „Divina Commedia“, arrangé en 1860 pour orgue par un musicien que le maître appréciait, Alexander Gottschalg. Jusqu’à ce qu’elle le satisfasse, Liszt a révisé cette version, fixée en 1862.

Avant de la faire entendre, Bernard Foccroulle s’exprime au clavier avec ses amis de l’Ensemble InAlto. Entre deux orages, la soirée est ouverte par la Sinfonia du troisième acte d’Orfeo de Monteverdi, servie par une grande qualité d’écoute mutuelle et une tenue rigoureuse, fort concentrée. Le vaste triptyque de Dante fait directement son entrée dans la foulée, avec Quivi sospiri pour soprano, baryton, cornet, trois trombones et orgue de Luzzasco Luzzaschi (ca.1545-1607), chef de chœur à la basilique Saint-Georges de Ferrare dans la troisième tiers du XVIe siècle. Entre l’introduction du madrigaliste crémonais et ce duo vocal illustrant quelques vers empruntés au troisième chant de L’Enfer, aucun changement de mode, ce qui favorise un enchaînement en toute simplicité. On apprécie l’évidente respiration et le bel équilibre de l’interprétation, confiée au soprano Alice Foccroulle et au baryton Nikolaï Borchev, les parties de trombones étant assurées par Guy Hanssen, Charlotte van Passen et Bart Vroomen quand Lambert Colson se charge du cornet à bouquin.

Après la cour d’Alphonse II d'Este, nous partons à Florence où Marco da Gagliano, né en 1582 sous protection du giglio rosso, fut maître de chapelle du Grand-Duc de Toscane à la basilique Saint-Laurent. Deux extraits de la première partie de ses Musiche a una, due e tre voci qui visitent Pétrarque. Ainsi retrouvons-nous l’excellent Nikolaï Borchev dans Io vidi in terra angelici costumi pour baryton et orgue (j’ai vu sur terre angéliques vertus) ; l’agilité de l’artiste magnifie cette page inspirée [lire nos chroniques de Die schweigsame Frau, Saint François d’Assise, L’opera seria, La Calisto et Die Soldaten]. Vergine bella revient ensuite à la voix d’Alice Foccroulle, avec son père Bernard, Lambert Colson et Charlotte van Passen pour complices. La première partie du concert est achevée par Foccroulle à l’orgue, au service de l’impressionnante méditation lisztienne évoquée plus haut. Par-delà l’apparente fragmentation d’un récitatif très particulier, c’est un phrasé discrètement nourri qu’il impose, puis une fugue vertement édifiée, jusqu’à la grandiloquence romantique.

Créé le 18 septembre 2017 au Palais des Beaux-arts de Bruxelles pour l’inauguration de son nouvel orgue, E vidi quattro stelle (Et je vis quatre étoiles), composé en 2015 et 2016 par Bernard Foccroulle [lire nos chroniques du 11 avril 2015 et du 18 juin 2021, ainsi que notre recension de son récent CD], bénéficie aujourd’hui de la présence des interprètes qui lui donnèrent le jour, placés sous la direction d’Ouri Bronchti [lire notre chronique d’Il trittico]. Dédiée « à la mémoire de mon père, Charles Foccroulle, qui m’a transmis son amour pour l’œuvre de Dante », cette grande pièce lyrique d’environ quarante minutes articule deux parties dénombrant elles-mêmes plusieurs épisodes, puisant tous dans La divina commedia. À la console de l’orgue que Gerhard Grenzing a tout spécialement conçu pour le nouvel auditorium, entre 2011 et 2014, le compositeur cède la place à son collègue Yoann Tardivel. L’invention s’inscrit dans son temps, le nôtre donc, qu’elle laisse infiltrer par plusieurs gestes anciens, comme une certaine declamatio par exemple, à l’instar de l’usage des instruments d’autrefois, auxquels est venu s’adjoindre Jutta Troch à la harpe. La tendre suavité du baryton y fait merveille.

BB