Chroniques

par bertrand bolognesi

bon anniversaire, Philippe Manoury !
Emmanuel Curt, Philippe Dao, François Desforges,

Renaud Guy-Rousseau, Florent Jodelet et Gilles Rancitelli
Studio 104 / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 19 juin 2022
concert des 70 ans de Philippe Manoury à la Maison de la radio (Paris)
© harmut nagele

Dimanche, 11h, au Studio 104. Combien se seront levés pour venir à la Maison de la radio et de la musique, par queue d’orage, célébrer le soixante-dixième anniversaire de Philippe Manoury en ce Matin du National ? Si le public est loin de déserter l’événement, avouons qu’à bien regarder l’on compte deux confrères dans la salle, sans ombre surnuméraire. Arnaud Merlin, producteur à France Musique auquel l’on doit, entre autres pépites, une série de Grands Entretiens avec le compositeur – diffusés la semaine dernière et disponible sur le site de la chaîne [épisodes 1, 2, 3, 4 et 5] –, présente ce bref concert que constituent trois opus.

Après une première collaboration avec l’ensemble strasbourgeois Accroche Note et son co-fondateur Armand Angster, à travers Ultima pour clarinette, violoncelle et piano (1996), Manoury associe le clarinettiste au percussionniste Emmanuel Séjourné dans Last, réponse à une commande du ministère de la culture. Conçue pour clarinette basse et marimba basse, cette pièce d’environ sept minutes fut créée durant l’après-midi de la journée d’ouverture de Musica, aux côtés de pages d’Igor Ballereau, Magnus Lindberg, Helmut Oehring, Brice Pauset et Kaija Saariaho. Il revient à la clarinette, jouée par l’excellent Renaud Guy-Rousseau, d’ouvrir la fête par une mélodie mélismatique bientôt érigée en quasi-péroraison. Prolongeant les attaques par tout un répertoire d’effets, Emmanuel Curt fait son entrée au marimba, invitant un jeu d’imitation réciproque en échos spéculaires. « Les figures ornementales, présentes dans les deux parties instrumentales, ainsi que l’écriture de la partie centrale, particulièrement virtuose […], renforcent la possible parenté entre ses timbres acoustiquement antagonistes », explique Hélène Cao (brochure de salle) – le compositeur lui-même parle, bien qu’il s’agisse d’instrument de même registre grave, d’un « mariage de la carpe et du lapin » lors des propos avancés sur scène juste après l’exécution.

Insatisfait des outils par lesquels l’électronique avait fait son entrée dans la musique dite savante, Philippe Manoury se passionne, au milieu des années quatre-vingt, pour les recherches de Miller Puckette qui, à l’Ircam, travaillait alors sur le suiveur de partition et ce qui deviendrait le temps réel. Avec Jupiter (1986), première volet du triptyque Sonus ex machina, il étend cette découverte à d’autres facteurs que le tempo dans le but de confier à la flûte solo la mise en œuvre de la partie électronique – vivante, donc, pour ainsi dire. Après la création par Pierre-André Valade au printemps 1987, le compositeur poursuivait son investigation à travers Pluton pour piano et électronique en temps réel (1988), créé à l’été par Ichiro Nodaïra lors du Festival d’Avignon. Après une exploration toujours plus approfondie du phénomène avec La partition du ciel et de l’enfer pour flûte midi, piano, piano midi, ensemble et dispositif électronique (1989), il s’attelle en 1991 au dernier volet du triptyque, écrit pour trois percussions et dispositif électronique en temps réel, qu’il intitule Neptune. Il revint aux solistes de l’Ensemble Intercontemporain, Vincent Bauer, Daniel Ciampolini et Michel Cerutti, et au réalisateur en informatique musicale Cort Lippe de lui donner le jour, le 26 juin 1991, au Centre Pompidou. À la suite de Mallet Quartet (2009) pour deux marimbas et deux vibraphones de Steve Reich, François Desforges, Florent Jodelet et Gilles Rancitelli livrent, avec Manoury lui-même à la console, auprès de Philippe Dao pour la réalisation, une version presque minérale de cette œuvre magistrale en cinq parties que conclut le tam-tam dominant la géographie du plateau, en hommage à Mikrophonie I pour tam-tam, deux micros et deux filtres à potentiomètres (1964) de Karlheinz Stockhausen.

Ainsi ce rendez-vous s’achève-t-il en beauté, préambule idéal du concert de jeudi prochain, à la Cité de la musique où, dans le cadre de ManiFeste, le festival annuel de l’Ircam [lire nos chroniques des 9, 15, 17 et 18 juin 2022], seront jouées les trois opus du cycle. À bon entendeur… bon anniversaire, Philippe Manoury !

BB