Chroniques

par françois cavaillès

Cendrillon
opéra de Jules Massenet

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 26 mars 2022
Cendrillon, opéra de Jules Massenet, à l'Opéra national de Paris (mars 2022)
© monika rittershaus | opéra national de paris

Une « partition qui fait plus de deux heures et bien des longueurs », une œuvre « qui n’était à l’origine que petit sujet, petit livret et petite musique »... Offrir à Cendrillon de Jules Massenet (1899) pour son entrée au répertoire de la Grande Boutique ces vachardises contemporaines (parues en 2010 dans le quotidien québécois La Presse), oh, oui ! Parce qu’elles sont lancées à l’emporte-pièce par Claude Gingras (1931-2018), regretté confrère aussi acerbe qu’entier, méconnu à Paris car fidèle à la Vieille-France, pourtant rempli d’une vraie gentillesse doublée d’un grand courage (face à la maladie notamment). Voilà qui en remontre bien au vieux modèle donné par Perrault... En effet, tel un personnage de conte de fées à la Dickens, Gingras vécut en héros étrange et solitaire, fut ignoré de toute école de journalisme, et admiré de quiconque le connut assez bien.

Romantisme assez vite abandonné, stéréotypes princiers et grand bal bientôt ridiculisés, la mise en scène aussi inventive que soignée de Mariame Clément [lire nos chroniques de Rigoletto, Platée, La bohème, Hänsel und Gretel, Castor et Pollux, Les pigeons d’argile, Poliuto, Armida, Il ritorno d'Ulisse in patria, La Calisto, Don Quichotte et Anna Bolena] va à rebours des valeurs traditionnelles attachées à Cendrillon, ou bien les actualise, tout en signant un grand spectacle impressionnant : ainsi, dès l’entrée, si subite, avec la petite foule de figurants ouvriers activée sur trois niveaux autour d’une énorme machine – vastes décors, à effets spéciaux vieillots, et costumes Belle Époque réalisés par Julia Hansen. C’est un ravissement plutôt enfantin, tout sauf agaçant (à part, peut-être, le recours systématique au film d’animation), d’un allant souvent extravagant et drôle, et qui remporte vite un franc succès public au soir de la première.

Pour traduire les instants vivaces proches de l’opéra-comique ainsi que les grandes heures féériques, baignées des lumières naturalistes d’Ulrik Gad, le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, placés sous les savantes directions de Ching-Lien Wu pour le premier et Carlo Rizzi quant au second, sont les interprètes rêvés. Aussi les admirateurs du grand Jules sont-ils servis avec finesse et sensibilité, se repaissant de l’élan d’un plateau vocal jeune et brillant – à l’instar de l’étincelant soprano Kathleen Kim, Fée de toute beauté, allègrement écoutée dans ses trilles et vocalises. Le chœur des Esprits qui l’accompagne, composé de Anne-Sophie Ducret, Blandine Folio Peres, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Corinne Talibart et Sophie van de Woestyne, contribue au charme divin du conte, de même que les courtisans, ministres et docteurs lancés à la poursuite du Prince renforcent par leur jeu énergique la puissance comique du chant, qualité originale intéressante de cet opéra fertile en pastiches du XVIIIe siècle.

Au bon vieux charme de théâtre lyrique, le mezzo de Daniela Barcellona plaît beaucoup de prime abord, charnu et fruité, puis de plus en plus en portant jusqu’à l’excellence lyrique le rôle bouffe de la marâtre [lire nos chroniques de Don Carlo, Samson et Dalila, Messa da Requiem, Semiramide, Tancredi et Falstaff]. À ses côtés, parfois délurées, souvent complices et remarquablement bien appariées, ses deux filles s’habillent de belles humeurs par-dessus les épais frous-frous, grâce au soprano de Charlotte Bonnet et au mezzo de Marion Lebègue. Principale force masculine, outre le bonhomme Roi du baryton Philippe Rouillon, clair et amusé, le baryton Lionel Lhote est un père émouvant, habile et en réussite à l’Acte III dans l’arioso et les nuances du duo consécutif avec Cendrillon. En général, les seconds rôles semblent davantage mis en valeur par l’univers visuel de comédie sentimentale, si bien que le couple vedette revêt les plus beaux atours.

Certes plein de douceur, le Prince charmant tenu par Anna Stéphany adopte le juste ton mélancolique et, passé l’impression d’aigus arrosés, impose un mezzo ravissant [lire notre chronique de To be sung]. En revanche, le soprano Tara Erraught semble passer par bien des difficultés d’émission dans le français, le rythme et la justesse pour ne convaincre qu’à la toute fin. Le beau rôle en passerait pour ingrat, comme longtemps Claude Gingras eut mauvaise presse.

FC