Chroniques

par françois cavaillès

Chérubin
opéra de Jules Massenet

Opéra national de Montpellier / Comédie
- 9 octobre 2015
Juliette Deschamps signe un piètre Chérubin de Massenet à Montpellier
© marc ginot

Son décor, beau plan en coupe d’une possible villa californienne d’après-guerre dépeinte par Macha Makeïeff dans des tons acidulés, en harmonie avec d’extravagants costumes contemporains signés Vanessa Sannino, est propre, le plus souvent éclairé vif comme un plateau de télé. Son rythme, son débit musical, dès le prélude musclé mais aussi gracieux, est rapide, poussé par l’impeccable Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon avec, à sa tête, le Québécois Jean-Marie Zeitouni. Et tandis qu’à travers ce nouveau Chérubin, comédie chantée plutôt rare depuis sa création en 1905, on scrute la mise en scène inventive, curieusement gesticulante (faisant se côtoyer les chanteurs-poseurs et les danseurs déchaînés), mais aussi très réfléchie de Juliette Deschamps, l’irrévérencieux vaudeville androgyne dissimule le romantisme de personnages ridiculisés – ainsi la petite amoureuse sincère Nina, infantile en jupe plissée et chemisier blanc, poussant la sérénade une sucette géante à la main, ou bien le vieux Philosophe, ici fort rajeuni et transformé en barman à haut-de-forme, tutu et grandes bottes blanches.

Jusqu’à ce qu’arrive l’Ensoleillad interprétée par Çiğdem Soyarslan (Acte II)…
Le soprano idéal, par la présence et un port de reine. Elle apparaît au clair de lune comme un bel oiseau de nuit, dans une immense robe à crinoline noir et blanc aux motifs en forme de plume. Il s’agit bien du rêve, thème incontournable chez Massenet, mais ici dans une dimension érotique soulignée avec adresse par une jolie mise en scène de l’intimité – grâce aussi à l’abattage de la chanteuse turque, charmante et sympathique vedette comique. Ce soleil de minuit s’éteint pour Chérubin qui en devient émouvant sur le tard – le soprano Marie-Adeline Henry relève le défi d’un rôle que la production conçoit très physique et se fond enfin à merveille dans la suavité de l’orchestre pour le déchirant Je ne veux plus aimer jamais (Acte III). Plus convaincant encore, le délicat soprano Norma Nahoun se révèle même une Nina toute trouvée pour Massenet, surtout dans le duo final avec Chérubin – assurément une artiste à suivre dans l’opéra français et peut-être au delà.

Dans le rôle du Philosophe, la basse Igor Gnidii se met en valeur au dernier acte, tirant son épingle du jeu dans cette réalisation créative et originale, aux airs de cartoon acide et à la toute fin en tarte à la crème, où Massenet rejoint encore Mozart, comme en rêve, dans un rappel sincère et amical, un hommage bref mais véritable au génie du siècle passé (« On doit t’emprunter ce Don Juan une minute ! ») : sur ces ultimes notes prémonitoires, citation musicale directe, alors que le livret aussi se conclut par une allusion à Don Juan (et à Elvire), on apporte tout de suite aux deux tourtereaux une superbe pièce montée… aussitôt renversée par maladresse. Noir destin des amoureux, cruelle leçon pour tous les personnages selon Juliette Deschamps (d’après la brochure de salle). Le rideau tombe sur ce Chérubin déstabilisé, en perte de contrôle. Qu’en aurait dit le Maître ?... Sans grande thèse, sa comédie chantée semble parler d’elle-même, dans ses belles pages d’amour qu’en général nos théâtres négligent peut-être aujourd’hui. Mais chaque époque, qu’on l’aime ou non, a bien sa beauté (et ses artistes de la laideur).

Ainsi au sortir de cette sorte de triptyque Massenet – avec Manon et Le portrait de Manon à Marseille un peu plus tôt ce mois-ci [lire nos chroniques du 29 septembre et du 3 octobre 2015) –, un dernier regard vitreux du grand Jules nous retient et laisse craindre la fin ultime de cette Belle Époque sur nos scènes nationales… Mais au tout début de l’année prochaine, la saison d’opéra reprendra à Bastille en mettant à l’honneur un compositeur français – et ce sera lui !

FC