Chroniques

par david verdier

Chat perché, opéra rural
de Jean-Marc Singier

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 19 mars 2011
Robert Expert dans Chat perché, un opéra rural de Jean-Marc Singier
© xavier pinon | opéra national de paris

C'est un heureux petit moment de bonheur. D'ordinaire, on le sait bien (sans trop se l'avouer), les spectacles Jeune public s'adressent plus aux parents qu'aux enfants. Pour Chat perché, opéra rural, la donne est différente. La trame narrative s'inspire des Contes du Chat perché de Marcel Aymé – monde familier dans lequel les animaux parlent à des humains, à la limite entre hyperréalisme de la vie à la campagne et magie du conte. Tout ce joli monde s'agite dans un sombre décor circulaire entouré d'une palissade derrière laquelle jouent les musiciens.

Caroline Gautier a voulu confier le rôle de Delphine et Marinette à deux jeunes contorsionnistes aussi souples que volubiles. À voir leurs couettes et leurs robes vichy, on comprend très vite que les chiffons à ourler ne les passionnent pas. Les deux héroïnes (Anne-Claire Gonnard et Johanna Hilaire) forment un couple de petites acrobates qui évoluent par facéties symétriques, tantôt chantonnant (et plutôt bien, de surcroît), tantôt jouant à faire des bouts-rimés. Elles contrastent avec l'austérité bougonne des parents (Sylvie Althaparro et Michel Hermon) dont les préoccupations culinaires s'incarnent dans un chant proche d'une grosse voix parlée façon ogre.

Le compositeur Jean-Marc Singier a imaginé une musique d'accompagnement colorée et légère, interprétée par une petite fanfare constituée d'un tromboniste, d'un trompettiste, d'un clarinettiste, d'un saxophoniste et d'un percussionniste. Cette joyeuse fanfare tantôt traverse le plateau, tantôt demeure à l'arrière. Elle joue alternativement un rôle d'illustration sonore, de narrateur et de pantomime. Chaque musicien joue de plusieurs instruments ; au percussionniste, le rôle du bruiteur (flexaphone, appeaux et flute à coulisse). L'orchestre participe à l'imitation sonore des animaux par les acteurs-chanteurs. La variété des registres expressifs permet aux voix de se fondre dans la couleur sonore des fanfares.

En deux petits actes bien menés, le spectacle propose un arrangement d'extraits choisis (le paon, le canard et la panthère) en parfaite combinaison avec des éléments musicaux qui regardent aussi bien vers une musique contemporaine à la Donatoni que vers les facéties virtuoses et désinvolte de l'improvisation jazz. On est au plus près de la poésie de l’enfance et de la puissance du rêve. La musique de Jean-Marc Singier est un trésor d'inventions bigarrées, entretenant un cursif babil de notes éparses très séduisant. Pierre Roullier obtient des instrumentistes de 2e2m une impeccable mise en place, et ce malgré un décor circulaire fort peu commode qui les contraint à se tourner à la fois vers le public et vers le chef. La mobilité de certains éléments ne fait que restreindre l'espace scénique (et acoustique), toujours problématique dans l'Amphithéâtre.

Le contre-ténor Robert Expert fait de la scène du paon un moment d'humour décalé qui fait hurler de rire le public, enfants et parents compris. La pédanterie du noble animal expliquant au cochon qu'il faut se mettre à la diète est un délicieux moment de théâtre chanté. Plus à son aise dans les ornementations que dans le jeu d'acteur, Sonia Bellugi campe une admirable colorature, se jouant parfaitement des difficultés de la partition, surtout dans la scène de la carte du monde avec les savoureuses désinences exotiques de la toponymie. La palme revient au ténor new-yorkais Marc Molomot, respectivement orateur délirant et cochon anorexique. Son numéro d'acteur avec la panthère (Salomon Baneck-Asaro) fait ressurgir le charme touchant, mais jamais désuet, des pages de Marcel Aymé.

DV