Chroniques

par bertrand bolognesi

Choir and Orchestra of The Age of Enlightenment, Mark Padmore
Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Matthaeum BWV 244

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 1er avril 2015
en 1913, Franz von Stuck peint une immense Crucifixion, conservée à Leipzig
© bertrand bolognesi, leipzig, 2013 | franz von stuck, crucifixion, 1913

Comme chaque année, la semaine sainte carillonne d’une cohorte de messes et de Passions, mettant toujours Bach à l’honneur. Pour nous, la conclusion du carême s’ouvre dès ce soir avec cette Matthäus Passion qu’avenue Montaigne propose le ténor Mark Padmore, Évangéliste bien connu des chefs comme des mélomanes, revêtant désormais également la vêture de directeur musical. Ainsi le programme du jour annonce-t-il qu’il dirigera les Choir and Orchestra of The Age of Enlightenment : par là il faut comprendre qu’il est l’indispensable cheville du travail fait en amont du concert, mais non qu’il dessinera sa battue face à la formation britannique. Parfaitement en symbiose avec le projet, ces instrumentistes font aujourd’hui de la musique ensemble sans nécessiter aucun sémaphore, ce qui insuffle une certaine cordialité à cette soirée.

C’est en effet d’abord la réalisation orchestrale qui convainc. Précieuse, la définition des timbres porte haut le grand oratorio pascal, agrémenté de contours d’orgues (ils sont deux, bien sûr) nettement incisifs et d’une saine ciselure des bois. Les interventions chorales imposent un même niveau, fort investies dans le texte et soigneuses des équilibres comme de la dynamique, toujours au service d’une expressivité optimale. Pour sûr, Mark Padmore sut infléchir la trame générale vers une théâtralité assez affirmée, à l’encontre d’une tradition – justifiable ou non, comme toutes – qui dit la Saint-Mathieu plus cérébrale que la Saint-Jean, réputée dramatique. Avec évidence, l’option se tient, s’appuyant sur un matériau qui est moins abstrait qu’on put le prétendre. Demeure le choral récurrent, immuable, à l’instar du choix d’Iván Fisher l’an dernier [lire notre chronique du 19 avril 2014].

Son maître d’œuvre est courageusement engagé dans la responsabilité de l’édifice comme dans la partie de l’Évangéliste, lourde en soi. Bien que la tâche ne soit guère des plus aisées, il livre une interprétation nourrie par un grand métier, bonifiant sa couleur vocale au fil de l’exécution, en des nuances de plus en plus subtiles – ainsi peut-on dire que « s’accomplissent les Écritures ». Cette Matthäus Passion souffre cependant d’une carence de voix féminines aptes à l’honorer comme il se devrait. On regrette beaucoup d’avoir à relever le peu de justesse de l’intonation de ses dames, du mezzo aux deux soprani confondus, au point qu’Erbarme dich nous prendre en faute d’en goûter avant tout le solo violonistique. Oublions-les donc, puisque la distribution masculine satisfait pleinement, quant à elle.

Outre le bref concours de quelques chanteurs issus du chœur, applaudissons quatre gosiers coiffés qui livrent les meilleurs moments. La présence, la densité de la couleur, l’intelligibilité du dire invitent à saluer Matthew Brook, baryton-basse très prégnant en Pilate, remarqué dans Händel ici-même [lire notre chronique du 23 mai 2011]. Saluons également la clarté d’émission et l’élégance du chant d’Andrew Tortise (ténor). Souple et dignement intrusif, celui de la basse Stephan Loges mène la partie de Jésus vers des sommets. Mais c’est surtout Robin Blaze qui séduit : outre son extrême clarté, admirons la manière dont il magnifie chacun des passages à lui être confiés, dominant d’une projection toujours légère des parties intenses. Comme à son habitude [lire nos chroniques du 22 août 2011, du 13 novembre 2008 et du 11 janvier 2006], le contre-ténor bouleverse, son Können Tränen meiner Wangen accompagnant encore d’émotion le souvenir qu’on en garde.

BB