Chroniques

par vincent guillemin

Christian Tetzlaff joue le Concerto de Sibelius
Bruckner par les Wiener Philharmoniker et Riccardo Chailly

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 19 janvier 2014
Christian Tetzlaff joue le Concerto pour violon de Sibelius à Paris
© giorgia bertazzi

En janvier dernier, la neige arrêtait à la frontière française les forces viennoises et Zubin Mehta, laissant l’avenue Montaigne sans Huitième de Bruckner. Septembre n’aura fourni qu’un ersatz de l’œuvre avec ces Wiener Philharmoniker sous la baguette de Lorin Maazel, trop occupé à tirer la substance de chaque pupitre et à étirer toute mesure.

Ce soir, un climat plus clément a laissé passer Riccardo Chailly et les mêmes Wiener Philharmoniker, agrémentés d’inhabituels renforts jeunes et féminins auxquels il fut permis de garder les cheveux longs malgré l’obligation de ne porter que costume et pantalon. L’ouverture par le nord avec le poème symphonique Finlandia tranche avec l’habitude que nous avions prise depuis plusieurs années lors des concerts de cette formation au Théâtre des Champs-Élysées : cette fois, les attaques sont franches, les phrases déliées et les cuivres d’une puissance et d’une justesse que nous avions presque oubliée. D’une redoutable efficacité, l’exécution laisse entendre un son plus autrichien que finlandais, sans pour autant dénaturer l’œuvre du compositeur, pourtant connu pour ses forts penchants nationalistes.

Le Concerto pour violon en ré mineur Op.47 du même Sibelius paraît plus faible, l’orchestre n’arrivant pas à trouver d’entente avec le soliste. Le jeu en milieu d’archet fait prendre à Christian Tetzlaff une liberté que ne peuvent suivre le chef et ses pupitres, de plus en plus en décalage. Respirées en leur mi-temps et reprisent par le violoniste sans réel lien entre elles, certaines phrases succèdent à des recherches de saturation dans le suraigu, proposant une vision très spécifique et anti-lyrique de l’œuvre, à l’opposé des versions tenues pour références. Peut-être cela pourrait-il fonctionner si l’accompagnateur était l’Ensemble Intercontemporain, par exemple, mais on ne fait pas ce qu’on veut de nos Autrichiens, même avec un chef aussi attentif que Chailly qui souvent doit les retenir dans le troisième mouvement, Allegro ma non tanto.

Heureusement, le bis fait ressortir une maîtrise parfaite et une interprétation particulièrement intéressante de Bach, ramenant le musicien et son fort bel instrument à leur juste valeur.

En seconde partie, la Symphonie en la majeur n°6 d’Anton Bruckner génère la même impression que l’année passée par les Berliner Philharmoniker in loco, sous la battue du même maestro qui les magnifiait alors comme peu de chefs le font aujourd’hui. La lecture est identique, mais l’orchestre différent, le son massif n’étant guère aidé par l’acoustique du lieu, comme déjà nous le remarquions dans la Quatrième par Gatti [lire notre chronique de l’avant-veille]. Le premier mouvement donne le point de vue du chef, assurément beaucoup moins aéré que s’il avait son Gewandhausorchester Leipzig en main. Comme à Berlin il choisit un son plein et une différenciation de chaque note, en plus d’une franchise d’attaque dans le plus pur style viennois. L’Adagio procure un sentiment d’éther rarement ressenti aujourd’hui et rappelant, malgré une approche différente de gestion des masses, les émotions qu’il est possible d’éprouver à l’écoute de cette œuvre par les anciens, tels Böhm ou Celibidache. Dans le Scherzo, le chef renoue avec une direction plus latine et des gestes relativement nerveux, se retrouvant presque à genoux pour faire débuter les larges crescendos, en maintenant un équilibre pupitral et une ligne dynamique précise. Un seul reproche : le peu de contrôle accordé au volume sonore, trop élevé pour la salle. Cette remarque vaut également pour le Finale, même s’il finit magnifiquement, après une surprenante superposition des thèmes au milieu du mouvement, déjà déroutante un an plus tôt.

Voilà longtemps que nous n’avions entendu un concert Bruckner aussi passionnant et des Wiener Philharmoniker dans une telle forme à Paris. Le problème des formations prestigieuses est qu’il leur faut un très grand chef. Pendant que nous écoutions cette symphonie s’en allait le plus grand d’entre eux, qui avait choisi Bruckner comme testament musical [lire notre chronique du 26 août 2013].

VG