Chroniques

par bertrand bolognesi

Clara Iannotta | paw-marks in wet cement (II)
Claude Vivier | Bouchara – Pulau Dewata – Shiraz

Wilhem Latchoumia, L’Instant Donné, Aurélien Azan-Zielinski
Festival d’automne à Paris / Espace Cardin (Théâtre de la ville)
- 8 octobre 2018
La compositrice Clara Iannotta est fêtée par le Festival d'Automne à Paris 2018
© manu theobald

Dans la lignée des grands portraits de compositeurs qu’il présente depuis de nombreuses années, le Festival d’automne à Paris investit cette fois (avec le soutien de l’Ernst von Siemens Musikstiftung et du Centre culturel canadien de Paris) l’œuvre de Claude Vivier [lire nos chroniques du 23 juin 2017, du 9 juin 2007 et du 18 novembre 2006]. Après un concert inaugural à la Maison de Radio France, il y a dix jours où l’on donnait (avec des pages de Berg, Dusapin et Mahler) Orion pour orchestre (1979), trois opus chambristes sont joués aujourd’hui, à l’Espace Cardin, par les musiciens de l’ensemble L’Instant Donné.

Voici l’écoute plongée dans la période 1977-1981, avec Pulau Dewata, hommage au peuple balinais, conçu pour piano, flûte, clarinette, clarinette basse, cor anglais et percussion (création le 28 janvier 1978 à Toronto) – cet instrumentarium est celui décidé par L’Instant Donné, partant que la pièce ne précise pas d’effectif précis. Motifs répétés en semi-boucles, rythmique obsessionnelle traversant des couples instrumentaux renouvelés au fil de l’exécution, harmonie orientale dont l’effet est ici décuplé par l’usage de cloches et d’un piano-jouet, tout procède du rituel heureux, voire de l’illumination.

« L’écriture, strictement à quatre voix (deux voix par main), développe des directions toujours homophoniques dont lentement émerge un contrepoint à deux voix. Retour à ces mouvements brusques et l’œuvre se termine par un choral » : ainsi Vivier (brochure de salle) décrivait-il lui-même Shiraz pour piano (1978 ; création le 4 avril 1981 à Toronto), entendu tout récemment sous les doigts de Siwan Rhys au Lille Piano(s) Festival [lire notre chronique du 8 juin 2018]. Si l’inspiration est iranienne, le compositeur a puisé dans un ferment européen, avec cet opus qui, dès le martèlement augural, avoue l’influence de Stockhausen – outre le Klavierstück IX (1962), le Canadien affectionnait particulièrement Inori, réentendu au tout début de cette nouvelle édition du festival [lire notre chronique du 14 septembre 2018]. Nous retrouvons Caroline Cren dans ce solo accolant des épisodes plus ou moins fragmentés, avec une poétisante vacuité qui ne convainc pas toujours [lire nos chroniques du 18 septembre 2005, du 23 novembre 2007, du 25 janvier 2011, des 11 juin, 20 et 27 novembre 2017].

Le 14 février 1983, l’ensemble 2e2m et Paul Méfano donnaient le jour à Bouchara pour soprano, quintette à cordes, quintette à vents, percussion et bande enregistrée. Le compositeur ne connaissait pas la cité ouzbèque, de même qu’il ne vit jamais Samarcande ni Cipango, autres lieux de légende liés au parcours de Marco Polo autour duquel il projetait une grande œuvre scénique. Marion Tassou livre une interprétation d’une douceur caressante, toujours en parfaite homorythmie avec une partie de l’orchestre (jamais la même), usant de hauteurs contrariées par des micro-intervalles. Le texte de cette chanson d’amour explore une langue inventée par Vivier, au service d’un lyrisme volontiers affirmé, qui proclame. Bouchara est conclu par une déflagration machiniste dans les haut-parleurs, suivie d’un écho en saccades mourantes.

Cette (longue) seconde partie de soirée était introduite par paw-marks in wet cement (II), page d’une quinzaine de minutes écrite entre 2015 et 2018 par l’italienne Clara Iannotta (née en 1983). Elle convoque un piano soliste et un ensemble amplifié (flûte, deux clarinettes, cor, trompette, trombone, deux percussions, harpe, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse). Comme pour sa création mondiale, le 6 mai 2017 aux Wittener Tage für neue Kammermusik, Wilhem Latchoumia est au piano [lire nos chroniques du 4 mars 2008, du 16 mars 2009, des 20 février et 3 août 2010, du 29 janvier 2011, des 7 et 9 février 2015, du 30 avril 2016 et du 1er décembre 2017]. L’auteure s’appuie sur une image évoquée par la poétesse irlandaise Dorothy Molloy (1942-2004), à propos de traces laissées dans un ciment frais par le passage inattendu d’un animal. L’intervention solistique semble masquée par un usage inhabituel des instruments, le recours à des flexibles dans lesquels souffler et divers éléments sonores rendus musicaux (dont les machines à vent sont les moins exotiques), mais surtout une préparation du piano lui-même. « À l’instar des traces de l’animal, l’œuvre […] présente un souvenir inversé – non la chose elle-même, mais l’empreinte laissées et tout ce qui l’entoure », précise le musicologue Tim Rutherford-Johnson (traduit par Martin Kaltenecker dans la brochure de salle). On en admire la subtile inventivité, délicate et discrète, mais fort active. Après cette première française, dirigée par Aurélien Azan-Zielinski, le Festival d’automne permettra d’explorer plus loin la musique d'Iannotta [photo] avec Clangs pour violoncelle et ensemble (2012), le 26 octobre (Cité de la musique, Paris).

BB