Chroniques

par bertrand bolognesi

Collegium 1704 et Collegium Vocale 1704, Václav Luks
Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem BWV 245

Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 3 avril 2022
Václav Luks joue la Johannes-Passion (Bach) à la Maison de la radio (Paris)
© petra hajska

L’avancée du temps pascal est celui des Passions, jouées dans les salles de concert comme dans les églises, à Paris et ailleurs, par de nombreux ensembles baroques. Si la mise en musique du martyre christique s’avère abondante, ce sont essentiellement les oratorii de Johann Sebastian Bach que l’on programme le plus souvent. Ainsi de la Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem BWV 245, créée (dans sa première version) à la Nikolaikirche de Leipzig le 7 avril 1724, donnée cet après-midi à la maison ronde par Collegium 1704 et son Collegium Vocale sous la battue de l’excellent Václav Luks [lire nos chroniques des 20, 22 et 26 août 2009, du 27 août 2011 et du 15 juin 2017].

La marque de fabrique de la présente lecture est, assurément, la fluidité, à l’œuvre dès l’introit instrumental du chœur initial (Herr, unser Herrscher, 1) et définitivement effective avec l’aria de l’alto (Von den Strikken meiner Sünden, 11). Sans superfétatoire hystérie, l’inquiétude domine l’interprétation, avec une partie orchestrale qui, implacable, va son cours, comme le destin, et un chœur violemment impacté, ponctuation quasiment théâtrale de l’ici-bas et du moment. Si O große Lieb’ (7) ne traîne pas, la salutaire tendresse de Dein Will gescheh’ (9) caresse l’écoute dans une urgence jamais démentie ; tout juste Petrus, der nicht denkt zurück (20) conclut-il la première partie dans une certaine paix, après le méandreux final de Wer hat dich so geschlagen (15).

La seconde partie s’inscrit pleinement dans le drame, allégorie du Salut ou infernale goétie, voire suicide sacrificiel, comme le suggéra John Donne au siècle précédent (Biathanatos, ca.1608 ; publié en 1647). L’idéale gestion de la nuance et des impacts choraux de Christus, der uns selig macht (21) en rehausse hardiment l’expressivité, plus prégnante encore avec le furieux Ach, großer König (27), puis Wir haben ein Gesetz (38), passé les rageuses invectives. La palette des artistes de Collegium Vocale 1704 révèle grande richesse, la douceur revenue pour Durch dein Gefängnis (40). Les musiciens mettent à l’honneur les traits solistiques de la Saint-Jean, avec l’exquis duo des hautbois (11), la saveur particulière des flûtes (13), le trio à cordes (32), fort présent, la subtile couleur des bois (68), quand ce n’est la dolente profondeur du contrebasson (67).

Le sextuor vocal ne démérite, bien qu’un relatif manque d’unité l’accuse parfois. Doté d’un timbre d’une clarté suffisante, le ténor Tobias Hunger avance d’abord en force (Ach, mein Sinn, 19), heurtant l’aigu, et, moins nerveux, convainc peu dans Erwäge, wie sein blutgefärbter Rükken (32). En Pilate, on retrouve un Christian Immler bien projeté mais plutôt tremblant [lire nos chroniques du 16 avril 2004, du 14 juin 2010, du 24 août 2011, du 23 juillet 2016, du 12 juillet 2019 et du 25 septembre 2021] ; curieusement, la voix semble vieillie dans Betrachte, meine Seel’ (31) et instable l’intonation sur Eilt, ihr angefocht’nen Seelen (48). Si le soprano Sophie Junker appuie trop la théâtralité de ses interventions – Zerfließe, mein Herze (63) gagne à plus de sobriété –, il séduit par la générosité du timbre et la fiabilité du chant, délicieusement frais [lire nos chroniques des lustigen Weiber von Windsor et de La divisione del mondo]. Avec l’air Von den Strikken meiner Sünden (11), Benno Schachtner met son alto au service des volutes du chant, réservant sa puissance tragique au dolent Es ist vollbracht (58), fort émouvant [lire nos chroniques de Johannes-Passion, Il trionfo del tempo e del disinganno et Il primo omicidio]. Grave velouté, creux abyssal, tendre legato, y compris dans les joutes intervallaires les plus ouvragées (Stekke dein Schwert in die Scheide, 8), le baryton-basse Matthias Winckhler offre à la partie de Jésus un timbre rond, à l’autorité évidente et douce, avec une remarquable simplicité d’expression – on frémit au grain si humain de ses « Mich dürstet! » et « Es ist vollbracht! » (57). Cette sensible intelligence, pour ainsi dire, fait merveille dans Mein teurer Heiland (60), d’une confondante beauté [lire nos chroniques du Requiem et de Fidelio]. Enfin, incisif à souhait, le ténor Sebastian Kohlhepp livre un Évangéliste efficace dans chaque récit, menant avec endurance et d’une main de maître cette exécution [lire notre chronique d’Il Vologeso].

BB