Chroniques

par laurent bergnach

concert 7 – Andre, Bianchi, Matalon et Stahnke
Franck Ollu dirige l’Ensemble Moderne

Présences / Maison de Radio France, Paris
- 16 février 2014
quatre créations françaises par l’Ensemble Moderne
© philippe stirnweiss

Après un début de festival ici et là dans la capitale [lire nos chroniques des concerts 1, 2, 3, 5 et 6], le premier des deux week-ends Présences rassemble le public in loco, dans cette Maison de Radio France dont la rénovation s’enlise au point que gagner le Studio 105 est une gageure, dans ce qui semble tout à la fois labyrinthe, bâtiment administratif et quartier de haute sécurité.

Le concert du soir est confié à l’Ensemble Modern, formation forte de trois décennies d’expérience et d’une centaine de concerts donnés chaque année, qui fut en charge de la création de Such(t) Maschine (2012) à Francfort. Cette pièce pour dix-huit instruments de l’Allemand Manfred Stahnke (né en 1951) – ancien élève de Fortner, Huber, Ferneyhough et Ligeti – offre une douce cacophonie habitée par le vrombissement des cuivres et des cordes graves. L’écriture semble fragmentaire, donnant l’impression d’une ébauche ou d’un écho de pièces lyriques plus ou moins connues. Hélas, une boucle répétitive aux cordes entraîne bientôt l’ensemble vers une expression plus pauvre que n’importe quel quatuor, comme une mauvaise copie des minimalistes américains. Franck Ollu en assure néanmoins une lecture claire et souple.

Toujours dans la ville d’Hindemith et Adorno, l’Ensemble Modern fit entendre pour la première fois Permeability (2013) pour dix-neuf instruments et électronique, une pièce signée Oscar Bianchi (né en 1975) [photo], musicien milanais des plus doués dont le nom résonnait à Royaumont, Darmstadt ou Strasbourg avant d’être associé à l’opéra Thanks to my eyes [lire notre chronique du 8 juillet 2011]. Reconnaissant à la technologie d’avoir exploré de riches dimensions sonores (physique, structurel, émotionnel et intellectuel), Bianchi célèbre « l’exaltation des éternelles relations entre l’être et le son » avec une partition dont « le titre se réfère au terme utilisé pour évoquer le lien entre les catégories (l’humain, l’animal, la chose) qui autrefois représentait et organisait la vision de l’existence ».

D’emblée, on sent la présence d’un créateur en pleine possession de ses moyens, d’une œuvre résolument inventive et habitée. Des cuivres jacasseurs mais canalisés, un accordéon qui ajoute sa brillance à celle de l’électronique, des instruments peu courants (appeau, bâton de pluie, mégaphone dont un percussionniste tire des phonèmes amplifiés, en hommage discret à Romitelli) participent d’une densité et d’une énergie sans cesse renouvelée. Le foisonnement peut aussi laisser place au frémissement, avec un solo de contrebasson qui rappelle l’affinité du compositeur avec la flûte à bec Paetzold [lire notre chronique du 1er octobre 2010].

Habitué à créer des pièces de Mark Andre (né en 1964) en Allemagne, telle ...auf...II [lire notre chronique du 26 septembre 2007], l’Ensemble Modern joue Üg (2008) en première française, dont le titre évoque la notion de passage (Übergang) liée à Istanbul, ville de ponts géographiques et religieux. Des réverbérations captées dans des lieux sacrés (mosquée, synagogue, église) et des mots chuchotés (turc, allemand, arabe, hébreux) se mêlent à un tissu instrumental contrasté, tantôt doux (souffle discret de quatre vents, frottement feutré des cinq archets, papier aluminium et polystyrène animés par deux percussionnistes), tantôt agité (coups francs sur la table du piano, cliquetis, couinements, etc.). Pétrie d’angoisse méditative, la pièce de l’ancien élève de Baillif, Grisey et Lachenmann se clôt sur des parasites de transistors.

Le dernier programme du jour s’achève avec l’Argentin Martín Matalon (né en 1958), l’auteur de Trames et Traces – dont Traces II écrite pour le film Las Hurdes de Luis Buñuel [lire notre chronique 13 mars 2005] – qui avoue un penchant pour la forme miniature « d’où est absente toute notion de développement, prolifération, accumulation, processus, répétition… ». De polvo y piedra (2013) en comporte huit d’abord bien caractérisées, que le traitement électronique transforme bientôt « en matière amorphe et sans articulation ». Quatorze instruments nourrissent là des climats variés, étranges et chatoyants, mais on peine à trouver la nécessité sous la sophistication.

LB