Chroniques

par bertrand bolognesi

concerti pour harpe
Haydn, Hermann, Krompholtz et Mozart

Xavier de Maistre, Les Arts Florissants, William Christie
Opéra royal / Château de Versailles
- 28 juin 2016
le harpiste Xavier de Maistre fait découvrir Hermann et Krumpholtz à Versailles
© felix broede

Sur la scène de l’Opéra royal, nous retrouvons aujourd’hui William Christie et Les Arts Florissants pour un moment intitulé Concert pour Marie-Antoinette. De fait, Johann David Hermann (1760-1846), né outre-Rhin, fut le professeur de pianoforte de la reine, de 1785 à 1789. Quant à Jan Křtitel Krumpholz, né dans le nord-ouest de Prague, aux confins de la Bohème centrale en 1742, installé à Paris en 1777, il fut non seulement le harpiste le plus célèbre de son siècle mais encore un novateur en matière de technique, dont l’esprit essaimerait plus tard les trouvailles d’Érard. « La perspective d’interpréter ces œuvres sur l’un des instruments pour lesquels elles ont été composées quitte le domaine du rêve pour devenir réalité, confie Xavier de Maistre (brochure de salle). Le travail que j’ai dû consentir pour m’adapter à une tension des cordes moindre, à des écartements légèrement plus étroits et une mécanique plus fragile a été largement récompensé par des sonorités diaphanes et incomparables ».

Deux pages pour harpe et orchestre font le propos principal de ce concert, introduites par de célèbres œuvres en tutti qui leur sont contemporaines. À commencer par la Serenade en sol majeur KV 525 n°13 de Mozart, fameuse kleine Nachtmusik conçue en 1787. En formation légère (une douzaine d’instrumentistes), l’Allegro affiche d’emblée un certain sérieux, contrepointé par un travail de nuances fort inventif au fil des reprises. Sans touffeur alanguie, l’Andante est fermement dessiné et ne dédaigne pas un goût du contraste qui le rend presque italien. D’un pas robuste s’engage le Menuet dont William Christie révèle, par une ciselure subtile, la grâce toute simple du trio en ritournelle. À peine le Rondo conclusif convainc-t-il moins par une pousse inconfortable qui cependant ne ternit guère l’interprétation.

On installe le bel instrument (gracieusement prêté par Alexandre Budin), le rang de cordes s’étoffe, bois et cuivres rejoignent l’ensemble et le soliste s’installe. Paru en 1779 chez Viguerie (au 32 de la rue Vivienne, à Paris), avec la précision « exécuté par l’auteur le jour de Noël de l’année 1778 au Concert Spirituel, et dans lequel est renfermé l’air Ô ma tendre musette, en variation », le Concerto en si bémol majeur Op.7 n°5, dédié à la marquise de La Guiche, est ouvert par un Allegro moderato de belle tenue. La harpe fait une entrée virtuose, sans affèterie mais volubile, dont on admire la précision infinie. Après un premier passage en partage, un second solo fait goûter un legato étonnant que Xavier de Maistre parvient à ménager dans l’infernal tricot proliférant, remarquablement nuancé jusqu’en ses sextolets et triples-croches. De même le soin de la dynamique surprend-t-il, après l’appel syncopé de l’orchestre, dans la brève et virtuose cadence.

Après un final classique, la harpe énonce en sol mineur le thème Ô ma tendre musette, emprunté à Pierre-Alexandre Monsigny (1729-1817) qui en composa l’air sur des vers du dramaturge Jean-François de La Harpe (1739-1803). Déjà fort ornée, cette première apparition impose une méditation mélancolique dont chaque variation – cet Andante con variazione en compte six – sera ponctuée d’un court lamento en surplace, dont l’inflexion dolente est irrésistible. La grâce extrême de ce mouvement laisse pantois. Survient un tutti en crescendo, quasiment beethovénien, qui, sans autre respiration qu’un bref point d’arrêt, mène au Rondeau, recouvrant une rassurante carrure binaire et un caractère pastoral nettement enjoué, ici goûté dans une approche sereinement badine. Brillant, le final est même parfaitement festif.

Faisant belle la part des bois, un tendre cantabile habite l’Allegro qui commence le Concerto en fa majeur Op.9 n°1 d’Hermann, gravé en 1797 par Naderman, éditeur, facteur de harpe et luthier (rue de la loi, à Paris, ainsi dénommée entre 1793 et 1806 où elle reprend son titre de rue de Richelieu). À cette ouverture conséquente de près de trois minutes répond le solo de harpe, en alerte péroraison, préludant à la réexposition du premier thème, par l’instrument vedette, cette fois, bientôt ornementé. Suivant un étalon clairement moins inventif que le précédent concerto, Hermann développe un matériau certes amabile, mais qui s’enferre plus de dix minutes dans des redites relativement stériles, il faut l’avouer. Xavier de Maistre invite seul le Rondo conclusif dont l’air est dûment repris aussitôt par le tutti. D’une saveur un peu passée, le voilà rehaussé d’une modulation qui ne fronce qu’à peine le sourcil, comme pour mieux afficher un ton confiant. L’industrie est proche d’Haydn, mais dépourvue de ce désir d’expérimenter qui nourrit le génie de l’Autrichien, goûté juste avant au fil de la Symphonie en si bémol majeur Hob.I: 85 que Marie-Antoinette affectionnait particulièrement.

Et puisqu’il s’agit d’un Concert pour Marie-Antoinette, Xavier de Maistre donne en bis une transcription pour harpe seule de la mort d’Orphée, extrait de l’opéra de Gluck qui fut professeur mais également confident de la reine. La soirée s’achève magistralement dans un joyeux mouvement d’une symphonie avec harpe de Franz Petrini (1744-1819). Un répertoire qui demande qu’on l’approfondisse, assurément.

BB