Chroniques

par bertrand bolognesi

Coronis
zarzuela de Sebastián Durón

Opéra de Rouen Normandie / Théâtre des arts
- 31 janvier 2020
"Coronis", zarzuela de Sebastián Durón à l'Opéra de Rouen Normandie
© philippe delval

La médecine est enfant de cadavre, nous conte la mythologie antique. Lorsqu’il découvre que sa belle épouse Coronis l’a trompé, Apollon entre en fureur et la tue. Elle porte son enfant : sur la dépouille, il opère une césarienne et mène au jour Asclépios, le dieu de la médecine (cf. Pindare, Polybe et Ovide) que Zeus détruira plus tard d’un éclair pour avoir poussé son zèle jusqu’à ressusciter les trépassés. À cette source, un librettiste, dont la postérité négligea le nom jusqu’à le perdre, a puisé pour le compositeur espagnol Sebastián Durón (1660-1715) une matière dont il s’est largement affranchi en concentrant les deux journées de Coronis sur les affres séductrices, la lutte de Neptune et d’Apollon tous deux épris de l’héroïne.

La fantaisie de cette œuvre créée dans les premières années du XVIIIe siècle invite Omar Porras à donner libre cours à la frétillante inventivité qu’on lui connaît. Avec la complicité de la scénographe Amélie Kiritzé-Topor, secondée avec talent par Véronique Soulier pour les perruques et le grimage, par Laurent Boulanger pour la pyrotechnie et Mathias Roche quant à la conception lumière, le metteur en scène colombien fait vivre acrobates et danseurs – Alice Botelho, David Cami de Baix, Élodie Chan, Caroline Le Roy, Ely Morcillo, Michaël Pallandre – autour de Ménandre (du dramaturge romain éponyme) et de Sirène (le nom parle de lui-même), le couple chamailleur qui ajoute quelques épices plus terrestres au spectacle des dieux, du prophète Protée, vieillard des océans, du monstre Triton, messager des mers, enfin des dieux cités et de la mythique péronnelle.

L’ouvrage de Durón est, d’après Vincent Dumestre, la première zarzuela entièrement chantée, ce qui en fait l’étape décisive de ce genre. Il présente cette particularité de ne convoquer qu’une voix masculine, Protée, entouré de six féminines – quatre rôles travestis, donc. Deux voix viennent s’ajouter au nombre, pour les commentaires des ensembles et les délicieuses agaceries d’Iris et Rosario.

Dans une cavité rocheuse tenant de la falaise côtière ou de la grotte se joue l’aventure volontiers bouffonne véhiculée par la mise à distance de l’annonce clownesque du début, un jeu de chaque instant, des feux d’artifice, etc. L’excellence d’Isabelle Druet l’impose en Triton généreusement projeté dont la persévérance à protéger Coronis s’avère fort émouvante. Autre bonheur de la soirée : retrouver le ténor Emiliano Gonzalez Toro qui incarne un Protée lumineux et attachant. Caroline Meng livre un Neptune agile, tandis qu’à Marielou Jacquard, incisive en diable, revient la partie d’Apollon. On ne résiste pas à la composition d’Anthéa Pichanick en Ménandre de comics doté d’un timbre charismatique, ni à la vivacité de Victoire Bunel en Sirène bien chantante, mais les attaques trop souvent approximatives du rôle-titre séduisent moins. Les ensembles sont dignement tenus par Brenda Poupard et Olivier Fichet. À la tête de son Poème Harmonique, Vincent Dumestre pilote une équipe qui défend le projet avec un engagement qui fait plaisir à voir.

BB