Chroniques

par laurent bergnach

création d’En aparté de Bernard de Vienne
Court-circuit joue Dudebout, Erkoreka, Posadas et Quislant

Salle Cortot, Paris
- 5 mars 2018
création d’En aparté de Bernard de Vienne par l'ensemble Court-circuit
© dr

Quelques jours avant la création de La princesse légère, l’ouvrage lyrique de Violeta Cruz à la Salle Favart (9, 10 et 11 mars), l’ensemble Court-circuit célèbre, sans chanteurs, les créateurs du Pays Basque. Le premier au programme en est aussi le benjamin : Javier Quislant (né en 1984), diplômé à Barcelone puis à Graz. Beat Furrer l’épaula dans la ville autrichienne – où Mirada Antigua, son opéra de chambre, verra le jour le 27 mai prochain –, mais ses rencontres avec Aperghis et Billone comptent tout autant pour lui. Créé en janvier dernier dans la ville natale du trentenaire, Nun (Bilbao, 2018) semble une étendue aride traversée de vagues régulières. L’austérité est suggérée par d’éphémères solos et duos, nimbés de silence et assez statiques – Quislant parle de « dimension somnambule ou d’ellipse temporelle ». Lorsque le rythme du quintette s’emballe, les sons deviennent plus sauvages. Ils inventent alors un ressac tantôt riche en palpitations chatoyantes, tantôt poisseux et uniforme.

Nous avions découvert Gabriel Erkoreka (né en 1969) avec une pièce pour guitare inspirée par le cante jondo, un chant profond lié aux racines du flamenco [lire notre critique du CD]. Nourri de musique traditionnelle, cet autre natif de Bilbao étudie avec Bernaola et Finnissy avant de livrer des œuvres inspirées par les phénomènes naturels (Nubes, Oceano, Ekaitza, etc.) ou des états psychiques (Trance, Dardarak, Ametsak, etc.). Avec Kaiolan (Barcelone, 2010), qui explore l’univers de Louise Bourgeois (The cells), Erkoreka cherche à trouver différentes manières d’être libre dans la limitation de l’espace. Indéniablement lyrique, un trio à cordes (violon, alto, violoncelle) nourrit une sylve touffue où les vents (flûtes, clarinettes) semblent une faune associée. Un piano martelé dans le grave, quelques pizz’ en rafale viennent tour à tour secouer les barreaux de la cage, jusqu’à l’apaisement final.

Marqué par l’enseignement de Guerrero, Alberto Posadas (né en 1967) l’est aussi par l’Égypte et ses pyramides, comme en témoigne la révision de Nebmaat (2003/2016). Ami des ombres [lire notre critique du CD], le Castillan apprivoise celles d’un labyrinthe pharaonique en compagnie de cordes d’abord tendues, gémissantes puis hurlantes, qui s’apaisent en fin de voyage, à la périphérie des harmoniques. Entrainés dans ce tourbillon de chaos organisé, les vents parviennent à s’échapper souvent vers un climat plus élégiaque.

« D’une grande présence au départ, l’œuvre se délite petit à petit, comme si elle se déroulait de la jeunesse à la vieillesse par allégement progressif », annonce Bernard de Vienne (né en 1957) [photo], alors qu’on créée sa quatrième symphonie de chambre au retour de l’entracte, à peine quelques semaines après la naissance du poème lyrique Kim Vân Kiêu [lire notre chronique du 9 décembre 2017]. Nommée En aparté, cette pièce regorge de mouvements et de couleurs que permettent sept interprètes et une palette percussive assez riche (bois, métal, peau, etc.). Autant la page de Posadas avait côtoyé la nuit ténébreuse, autant harpe espiègle, trombone glousseur, clarinette joviale et contrebasse ricanante rendent celle-ci dionysiaque et solaire. À juste titre, elle est longuement applaudie.

Il y a quelques années, grâce à une résidence Ramon Lazkano à l’ensemble 2e2m, nous découvrions la txalaparta, un instrument de percussion traditionnel basque qui nécessite une technique de pilon [lire notre chronique du 13 janvier 2011]. Infiniment complexe, la musique produite hante le Bayonnais Bertrand Dudebout (né en 1958) depuis l’enfance, lequel lui rend hommage à travers le cycle Zazpiak. Ancien élève de Schaeffer et Reibel, devenu professeur d’électroacoustique, il dédie à Philippe Hurel Zazpiak Z (Toulouse, 2014), une pièce sans rien d’électrique, si ce n’est l’énergie de Jean Deroyer à la diriger. On y trouve une récurrence du pulsatif, des mécaniques qui s’épuisent, le tout sous influences fort recommandables (Grisey, Reich, Ligeti, Levinas, etc.). Signalons que Court-circuit a popularisé ce quart d’heure exaltant grâce à un enregistrement effectué en 2014 au festival Novelum pour le label éOle Records (éOr_011).

LB