Chroniques

par laurent bergnach

création de Lullaby de Tobias Feierabend
création de Rhétorique de l’Extase de Misaki Goto

Guillaume Bourgogne dirige L’Itinéraire
CRR, Boulogne-Billancourt
- 14 décembre 2017
À la tête de L'Itinéraire, Guillaume Bourgogne joue Feierabend, Goto et Murail
© lou scamble

Deux intervenants l’ont rappelé au cours de la soirée, c’est une collaboration durable et fructueuse qui unit L’Itinéraire au Conservatoire à rayonnement régional de Boulogne-Billancourt. Depuis le début des années quatre-vingts qui virent l’ensemble résider dans l’institution, nombre d’apprentis ont profité d’un travail d’immersion dans une équipe professionnelle – une dizaine d’étudiants et une trentaine d’heures de répétition pour le présent programme, bien défendu par le chef Guillaume Bourgogne [photo] –, de la même façon que ce collectif trouva une vitalité nouvelle dans l’exercice de la pédagogie.

Co-fondateur de L’Itinéraire en 1973 et auteur emblématique de la musique spectrale [lire notre entretien], Tristan Murail (né en 1947) a l’honneur d’ouvrir et fermer ce concert sans entracte avec deux pièces d’une même décennie. Offrant « quelques souvenirs, distordus, déformés » d’illustres prédécesseurs – Debussy, bien évidemment, mais aussi Paganini et Messiaen –, Dernières nouvelles du vent d’ouest (Amsterdam, 2011) foisonne admirablement grâce à la richesse de jeu d’un quatuor volubile : Lucia Peralta (alto), Antoine Dreyfuss (cor), Fuminori Tanada (piano) et Christophe Bredeloup (percussion). Pour sa part, fruit d’une commande de l’Ircam, L’esprit des dunes (Paris, 1994) réunit onze instruments et sons synthétiques, ceux-ci permettant à la composition d’intervenir « au cœur même du sonore » – comme l’avait anticipé Stockhausen, notamment [lire notre critique d’Essais 1952-1961]. Une fois encore, saluons l’art du maître, son raffinement à multiplier des combinaisons qui donnent relief et nuance à un quart d’heure de vagues et tourbillons, de souffles et miroitements, dont est friand plus d’un formateur avisé [lire notre chronique du 10 juillet 2014].

L’enseignement au conservatoire implique aussi la composition, ainsi qu’en attestent deux créations signées d’élèves de Jean-Luc Hervé – qui s’initia ici-même à l’orchestration et à l’électroacoustique. Dans Rhétorique de l’Extase, soucieuse de montrer la capacité de la musique à faire sens, Misaki Goto demande aux instruments de représenter sœurs (alto, cor) et amants (violoncelle, clarinette basse) du célèbre opus mozartien Così fan’ tutte (1790). Aspirant à devenir percussionniste à l’instar de ses camarades Vincent Le Boulch et Jonathan Fourrier, Justine Feuillette a fort à faire avec l’unique grosse caisse qui sépare les paires d’instruments. Sur la peau de celle-ci, elle tapote la tranche d’un lot de cartes à jouer ou frotte la surface d’une seule, lance des pièces de monnaies ou pose un bol de billes tournaillant. Ses doigts et différentes mailloches viennent aussi cogner. Malheureusement, cette pièce audacieuse, où entre une part d’aléatoire, apparaît vite monotone.

Cinq musiciens interviennent également pour Lullaby, page dans laquelle Tobias Feierabend (né en 1993) se confronte à la simplicité inhérente à la berceuse. « De manière générale, explique-t-il, l’ensemble instrumental est pensé comme une sorte d’instrument-jouet aux possibilités très limitées, à la mécanique un peu détraquée, peut-être usée par le temps… ». Si un cri de clarinette ou de cor résonne ici et là, ce court opus favorise la délicatesse sinon l’effleurement, à l’aide d’harmoniques (alto, violoncelle) et d’une percussion minimaliste (main frottée d’un geste vif sur les cloches-tube, air soufflé dans un goulot, etc.). Au final, outre la beauté du moment, l’auditeur a cette impression vivifiante que le matériau n’est pas sondé jusqu’à l’épuisement.

LB