Chroniques

par hervé könig

création de Twist de Franck Bedrossian
création du Concerto pour trombone de Georg Friedrich Haas

Mike Svoboda, Südwestrundfunk Sinfonieorchester, Alejo Pérez
Donaueschinger Musiktage / Baarsporthalle, Donaueschingen
- 16 octobre 2016
Franck Bedrossian aux Donaueschinger Musiktage pour la création de Twist
© donaueschinger musiktage 2016

Pour ce dimanche en Forêt-Noire, la promenade n’est pas de mise. D’abord, le temps est à l’humide et au trop frais. Ensuite c’est pour le concert de clôture de l’édition 2016 des fameuses Donaueschinger Musiktage que nous avons fait le déplacement. Trois créations mondiales étaient prévues pour l’événement, sauf que Marco Stroppa n’a pu livrer à temps son Come play with me. Du coup, deux premières et non trois, introduites par la très rare Symphony of three orchestras d’Elliott Carter (1976). Par ce choix, le festival rend hommage à Pierre Boulez qui lui fut si lié, le chef et compositeur français ayant dirigé la création de cette œuvre (qui lui est dédiée) à New York, le 17 février 1977.

Il s’agit d’une sorte de concerto pour trois groupes instrumentaux, dont les protagonistes sont mêlés sur scène comme un seul : l’un est constitué par les cuivres, les cordes et les timbales, le deuxième par des violons et contrebasses écrits en solistes, violoncelles en tutti, percussion (marimba, vibraphone, etc.), clarinettes et piano, tandis que bois (flûtes, bassons, hautbois), cors, percussion hors tempérament et cordes forment le troisième poste. Quatre mouvements glissent les uns sur les autres dans une exécution en continu où le trait de violon seul fait effet de héraut. Extrêmement complexe, le jeu combinatoire, essentiellement sériel, ne repousse pas la tentation d’évoquer, avec cette page commandée pour le bicentenaire des USA, des sonorités spécifiquement nord-américaines, comme la trompette d’ouverture ou les batteries de caisse-claire, comme échappées hors battue de la main de Charles Ives. Il convient de féliciter les excellents musiciens du Südwestrundfunk Sinfonieorchester qui livrent une interprétation au cordeau, sous la baguette rigoureuse d’Alejo Pérez [lire nos chroniques du 11 avril 2006, du 17 octobre 2012 et du 16 février 2013].

Après l’habituel petit ballet, bien connu sous le nom de changement de plateau, et l’ajout de quelques instruments à l’effectif précédent, découvrons Twist, nouvel opus de Franck Bedrossian [photo] pour orchestre et live electronic, commandée par le SWR et l’Ircam où Robin Meier signait sa réalisation. L’intention avouée de l’auteur était de corroder l’image que chacun garde d’un orchestre, « électriser ses timbres, déterritorialiser des instruments incongrus pour affecter sa physionomie ». Ne nous étonnons donc pas d’entendre un accordéon frénétique, une guitare électrique parfois jouée à l’archet ou des relents de jazz. Twist commence à fond les gamelles, mais sans oublier de respirer, y compris dans l’usage des multiphoniques. Pas d’à-tue-tête, ce travail est construit, au fil de plusieurs sections nettement définies. Quelques scansions répétées, un infernal chemin de clusters aux claviers, la performance redoutable des vents, une déflagration guerrière dans les haut-parleurs… Bedrossian [lire nos chroniques du 1er avril 2008, du 17 mai 2013, du 8 juillet 2014 et du 25 juin 2016] est indéniablement le plus doué des saturationnistes en ce qu’il tisse une étoffe assez subtile pour que les aléas du cri dépassent son élan et gagnent un relief auquel n’accèdent pas les essais de ses confrères du même courant esthétique. Pérez sert avec énergie cette création dont la régie est assurée par Luca Bagnoli.

Dernière pièce au programme, le Concerto pour trombone et orchestre de Georg Friedrich Haas est moins heureux [lire nos chroniques du 12 juin 2008 et du 24 janvier 2014]. Il fut écrit durant ces deux dernières années pour le tromboniste Mike Svoboda dont Haas admire la grande musicalité, la clarté de pensée et le beau son, depuis leur première rencontre à Bâle. Il commence par une longue partie tonale, dans le souvenir de Bruckner et de Wagner, polarisé sur la note do, que vient perturber une harpe désaccordée, mais sans que cette intervention prenne une couleur spectrale. Des micro-intervalles de cuivres rappellent un Strauss déglingue. Puis c’est un escalier sans fin, conclu par une toux de grosse caisse. Les contrebasses apaisent la chose par des glissandos où s’installe une cadenza du trombone, sur d’autres chuintements de l’orchestre, ponctués par diverses percussions. D’abord doublée par moments par les collègues du pupitre des cuivres, comme pour une amplification purement acoustique, la mélodie, après un long effet pitch lancé du si bémol aigu jusqu’au caveau de famille, se disloque dans les huitièmes de ton hésitants – cet interminable concerto fait souffrir le soliste (et l’auditeur !) pour rien. Il s’agissait d’une commande associée du SWR, de l’ORF Sinfonieorchester, du Sinfonieorchester Basel et de la Konzerthaus de Vienne, parrainée par la Fondation Ernst von Siemens.

HK