Chroniques

par bertrand bolognesi

Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille, Paris
- 13 mars 2010
Les Filles du Rhin, dans la mise en scène que Günter Krämer signe à Bastille
© opéra national de paris | charles duprat

Il y a bien longtemps était donné pour la dernière fois dans son intégralité Der Ring des Nibelungen à l’Opéra de Paris, dans une production signée Peter Stein. Depuis, la Tétralogie, pour présente qu’elle fut à plusieurs reprises sur d’autres scènes parisiennes, n’a plus occupé la principale. C’est dire si cette nouvelle production (Das Rheingold du 4 au 28 mars 2010, Die Walküre du 31 mai au 29 juin 2010, Siegfried du 1er au 30 mars 2010 et Götterdämmerung du 3 au 30 juin 2011) est attendue.

La déception n’en est que plus grande. Avouons-le, ce Prologue indigent et fantasque n’augure rien de bon pour les trois journées à venir. Si réaliser une mise en scène consiste à monter à cru le sous-texte d’une œuvre jusqu’à l’édifier en propos principal, la proposition de Günter Krämer se percevra sans conteste comme modèle du genre. Mais à vouloir révéler tout, on risque d’obscurcir l’appréhension par un hermétisme suprêmement intelligent ou, au contraire, d’en réduire l’approche à une littéralité des plus prosaïques. À tout prendre, le premier des travers énoncés semble le moindre en cela qu’il autorise l’élévation dont l’extrapolation poétique jamais n’est exempte, tandis que du ras des pâquerettes ne demeure cruellement que le ras des pâquerettes.

Au souvenir de sa fort belle et non moins drôle Ariadne auf Naxos vue à l’Opéra de Lyon, on comprend mal ce qui motiva l’option de Krämer. Pour non dénuée qu’elle est de trouvailles intéressantes – comme les escarpolettes des filles du Rhin, par exemple, l’incandescence ondulante d’avant-bras rouges qui frôlent la convoitise d’Alberich, les effets de profondeur aquatique obtenus par l’usage d’un vaste miroir (rappelant l’esthétique de Yannis Kokkos, d’ailleurs) ou encore l’implacable balancier de la meule du Nibelheim –, d’autres (qu’il serait fastidieux d’énumérer) viennent en contrarier les vertus, jusqu’à rendre sans esprit une mise en scène qui, au fond, ne paraît pas voir à long terme.

De même la prestation vocale laisse tiède.
Les trois ondines accusent des formats différents ainsi que des disparités de style, de sorte qu’on s’attache à retenir le chant de l’une ou de l’autre alors qu’il conviendrait d’en apprécier l’entité. Car, indéniablement, sur cette question les artistes ne sont pas à mettre en cause. Caroline Stein donne une Woglinde claire, Nicole Piccolomini une Flosshilde solidement impactée, tandis qu’à Wellgunde Daniela Sindram offre un mezzo-soprano puissant, rond, musclé, luxueusement phrasé. De même la Danoise Ann Petersen est-elle une Freia généreusement colorée. À l’inverse de l’impressionnante Erda de Qiu Lin Zhang, profonde, large et charismatique, la Fricka de Sophie Koch ne s’impose pas, avec un chant sans doute irréprochable mais toujours laborieux et tant dépourvu de présence dramatique que le rôle n’existe pour ainsi dire pas.

Côté messieurs, que Marcel Reijans donne un Froh un peu grêle et à l’inflexion trop droite n’est pas, en soi, déterminant. En revanche, il est plus gênant que Falk Struckmann soit insuffisant en Wotan, avec une voix honnêtement projetée mais pâle, sans aura, et parfois à bout de souffle. Par ailleurs, Peter Sidhom est un Alberich satisfaisant, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke conduit en Mime une ligne de chant vigoureuse et expressive, se gardant de souligner le ridicule du personnage (si bien qu’une certaine compassion pourrait bien naître à son égard), et Kim Begley nuance subtilement son Loge.

Parfaitement distribués, les géants séduisent : Iain Paterson (Fasolt) par le cuivre mordoré avec lequel il évoque la belle Freia à jamais perdue, et Günther Groissböck (Fafner de par le monde) avec l’incomparable ligne de chant d'un grave diablement impacté. Enfin, aurait-on cru qu’un Donner bouleversât ? Oui, cela peut arriver, lorsqu’il est si précisément servi par la musicalité et l’instrument de Samuel Youn.

À la tête des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, son nouveau directeur musical, Philippe Jordan, conduit un Rheingold plutôt prudent, parfois au prix d’une effervescence assez timide. Soignée dans le détail, sa lecture manque encore de ce souffle qu’elle saura gagner au fil des représentations. Quant à l’orchestre lui-même, dont jamais nous ne manquons de saluer la grande qualité, nous avons ce soir tant à déplorer le laisser-aller de ses cuivres qu’à rendre hommage à ses somptueuses cordes.

BB