Chroniques

par vincent guillemin

Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner

Opéra de Monte-Carlo
- 24 novembre 2013
Das Rheingold, opéra de Richard Wagner
© opéra de monte-carlo

Cent cinq ans après la première et soixante-quatorze après la dernière représentation à Monaco, l’actuel directeur de l’Opéra de Monte-Carlo Jean-Louis Grinda, propose une nouvelle production du prologue du Ring de Richard Wagner : Das Rheingold. Créant lui-même la mise en scène, il s’entoure d’un cast solide et d’un chef expérimenté afin de s’assurer la réussite du projet, monté pour l’occasion dans la grande salle du Forum Grimaldi, l’ancien opéra attenant au Casino ayant été jugé trop petit.

Trente années de Regie Theater à l’allemande autour de l’œuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk) auront sans doute tari la source des idées des metteurs en scène dont il ne reste visiblement que Bayreuth pour s’obstiner à la transcription, les autres créations de ces dernières années montrant au contraire un retour à une lecture beaucoup plus en rapport avec le livret, avec plus ou moins de réussite, comme Andreas Kriegenburg à la Bayerische Staatsoper [lire notre chronique du 14 juillet 2013], Guy Cassier à Berlin et Milan [lire notre chronique du 17 décembre 2010] ou en ce moment Dieter Dorn à Genève [lire notre chronique du 16 novembre 2013]. C’est également le choix de Jean-Louis Grinda, respectant à la lettre un texte sur lequel il apporte les éclairages nécessaires par des décors explicites et des détails précis – cette pomme d’or cultivée par Freia pour les dieux, pour une fois offerte au demi-dieu du feu Loge qui n’y a normalement pas le droit, par exemple.

Les jolis décors de Rudy Sabounghi sont composés d’images simples, comme l’ombre d’un château en fond de plateau aux Scènes II et IV, ou les wagonnets d’une mine dans une conduite métallique pour la scène du Nibelheim, ayant recours à la vidéo et à des images de synthèses plutôt réussies pour l’eau du Rhin ou Alberich se transformant en dragon. L’équipe aura certainement vu les Meistersinger von Nürnberg d’Herheim cet été à Salzbourg pour la transition des Scènes I à II à l’aide d’un écran vidéo, et les productions de McVicar à Strasbourg [lire notre chronique du 14 février 2007] ou de Lepage à New-York pour les reflets du Rhin [lire notre critique du DVD] et le travail des lumières – ici Laurent Castaingt – qui ramène ce conte pour grands enfants à certains classiques de Walt Disney. Cette dernière source est encore plus perceptible dans les costumes de Jorge Jara qui font de Wotan la Bête, de Fricka la Belle, les géants semblant sortis d’Alice au pays des merveilles et les Rheintöchter de La petite sirène. Le rendu définitif n’omet pas quelques images sans doute trop kitsch ou trop appuyées, comme la grenouille en peluche lors de la capture d’Alberich ou l’arc-en-ciel final représentant Bifröst, pont entre la Terre et le Walhallah, mais nous ne pourrons critiquer un soutien permanent de l’action.

De la distribution très équilibrée se dégage le Wotan d’Egil Sillins que les Parisiens ont déjà entendu en 2010, et dont l’habit, comme décrit plus haut, fait penser à la Bête mais aussi à un être moins imaginaire : Richard Wagner lui-même. Il fait partie des meilleurs interprètes actuels du rôle, et bien que moins ténébreux que Thomas Johannes Mayer ou moins charismatique que Tomasz Konieczny, il surpasse toutefois allègrement Tom Fox la semaine précédente à Genève. La Fricka de Natascha Petrinsky a de beaux aigus et une belle projection, mais s’efface quelque peu par rapport à la superbe Freia de Nicola Beller Carbone, déjà tenante du rôle à La Fenice. La troisième déesse, l’Erda d’Elzbieta Ardam, est légèrement plus fatiguée mais satisfait en créant cette rupture dans la scène finale entre Terre et Eau, représentée par trois excellentes filles du Rhin : Eleonore Marguerre (Woglinde), Linda Sommerhage (Wellgunde) et surtout Stine Maria Fischer (Floßhilde).

Des géants se démarque le très bon Fafner de Steven Humes au timbre clair et à la meilleure projection que Frode Olsen en Fasolt dont les graves profonds ne cachent pas quelques médiums plus tendus. Trevor Scheunemann en Donner et le Froh de William Joyner se surpassent surtout dans la dernière scène. Alberich est tenu par Peter Sidhom en habitué du rôle [lire nos chroniques du 13 mars 2010 et du 4 février 2013], mais dont la voix voilée ne masque pas certaines faiblesses. Le Loge d’Andreas Conrad est l’un des plus intéressants de ces dernières années ; il déjoue tous les pièges de la partition et ferait presque oublier qu’il est plus familiarisé avec le personnage de Mime sur les scènes internationales [lire notre chronique du 9 mars 2013], ici particulièrement bien chanté par Rodolphe Briand.

L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo n’est pas coutumier de cette œuvre mais la maitrise fort bien, prouvant qu’il n’est pas besoin d’être allemand pour faire sonner Wagner avec brillance et netteté. Les cors sonnent admirablement et jamais les cordes ne défaillent, pas plus dans les complexes superpositions de Leitmotive de la Scène IV que dans les deux Orchesterzwischenspiele. Le chef Gianluigi Gelmetti recherche une dynamique et une aération proche d’une direction alla Bruno Maderna, sans proposer une vision originale et unique. Son travail n’en est pas moins magnifiquement maintenu pendant deux heures et vingt minutes.

Pour le moment ce Rheingold est prévu seul, sans les trois journées, mais nous pouvons désormais espérer que l’accueil du public fera changer d’avis le directeur, d’autant que les décors massifs pourront sans problème être réutilisés pour la suite, limitant les frais de production. Ne restera plus alors qu’à trouver un Siegmund, un Siegfried et une Brünnhilde capable de maintenir le niveau global du prologue…

VG