Chroniques

par françois cavaillès

Die Entführung aus dem Serail | L’enlèvement au sérail
singspiel de Wolfgang Amadeus de Mozart

Opéra national de Lyon
- 26 juin 2016
Wajdi Mouawad met en scène Die Entführung aus dem Serail (Mozart) à Lyon
© bertrand stofleth | opéra national de lyon

La toute fin de saison réserve encore quelques soirées mémorables. L'une d'entre elles a sans doute eu lieu à Lyon, avec la rencontre entre Mozart et Mouawad. En effet, par ce très joli coup d'essai à l'opéra avec Die Entführung aus dem Serail dont il ose réécrire les dialogues, le metteur en scène aux racines libano-franco-québécoises, nouveau directeur du Théâtre national de la Colline, livre un spectacle bien pensé, juste et respectueux du Singspiel originel, avec la gravité qu'on lui connaît, certes, mais de manière sobre, vivante et stimulante.

La turquerie juvénile, ludique et pleine d'allant créée à l'été 1782 au Burgtheater de Vienne est ici représentée comme un révélateur d'un manque de tolérance, celui des jeunes sauveurs de leurs dulcinées détenues plusieurs années au sérail. Le propos est alerte et théâtral, bien entendu, avec parfois de forts accents tragiques. Mais surtout, d'une belle force naturelle, au fil d'idées défendues avec simplicité et dignité, il provoque la réflexion – jusqu'à laisser imaginer, par exemple, les captives atteintes du syndrome de Stockholm.

Sur le plan visuel, le dispositif est toute satisfaction de par, en priorité, un habile jeu de grands panneaux baignés de lumières unies, capables de se resserrer comme un étau sur les protagonistes, puis de s'écarter pour révéler une sphère géante, épicentre du drame spirituel (décors signés Emmanuel Clolus). Pour le plaisir des yeux également, avec notamment d'amples costumes aux profondes teintes primaires (création d'Emmanuelle Thomas), de courts épisodes variés surviennent pour illustrer différences culturelles, ainsi une prière musulmane vue d'un œil plutôt comique et réaliste, au début de l'Acte III.

Les plus vives émotions proviennent surtout des chanteurs, tous épanouis et très proches de l'idéal mozartien, en plus d'afficher de solides qualités de comédien. Toutes deux exceptionnelles dans leur robe blanche d'ingénue et leur fière féminité à la volonté de fer, les soprani Jane Archibald, Konstanze sensationnelle et expansive, et Joanna Wydorska, Blondchen au chant si gracieux, cadencé et épuré, frisent la perfection. En Belmonte, le ténor Cyrille Dubois allie chaleur, audace et assurance, la basse David Steffens, vif et jeune, riche et nerveux, impressionne tout autant en Osmin, alors que le ténor Michael Laurenz se fait impeccable et très énergique Pedrillo. Dans le rôle du pacha Selim, Peter Lohmeyer signe une puissante performance d'acteur, sombre en apparence et lumineux dans ses paroles.

La bénédiction vocale s'étend au Chœur maison qui brille notamment au premier acte, avec la belle sauvagerie requise des janissaires saluant le pacha. Source première de ce bel élan musical, l'Orchestre de l'Opéra national de Lyon, dirigé par Stefano Montanari, remplit totalement sa mission de vivacité, d'accompagnement subtil et même d'élévation aérospatiale quand la fin de l'Acte II, si enlevée, avec le quatuor comme sur orbite... Voilà probablement pourquoi, dès la chute du rideau, l'impression d'un vrai triomphe et d'un véritable intérêt nouveau pour l'opéra.

FC