Chroniques

par bertrand bolognesi

Die Meistersinger von Nürnberg
Les maîtres chanteurs de Nuremberg

opéra de Richard Wagner
Münchner Opernfestspiele / Nationaltheater, Munich
- 31 juillet 2016
Les maîtres chanteurs (Wagner) à Munich, dont il faut oublier la mise en scène
© wilfried hösl

Malgré le tragique événement qui stupéfia les Munichois ce 22 juillet, la Bayerische Staatsoper décidade maintenir les représentations de son Opernfestpiele, publiant que l’art permettrait de s’élever au-dessus de ce choc. Cependant, il n’aurait guère été prudent de faire de même avec son opération Oper für alle, surtout après l’explosion qui fit quinze blessés à Ansbach, au début de la semaine : pas d’écran géant devant le Nationaltheater, ils seront moins nombreux à voir cette reprise des Meistersinger von Nürnberg. Le festival fut toujours clôturé par cet ouvrage,ce qui ne se put faire depuis plusieurs années, la maison n’ayant plus de production à son répertoire : celle de David Bösch y étant été créée le 16 mai dernier, une autre tradition, plus ancienne, se trouvera désormais honorée, comme ce soir.

Que tente cette mise en scène ? De replacer ces Maîtres chanteurs dans un contexte populaire, partant qu’aujourd’hui les codes d’une fête comme put l’être celle du Johannistag ont nécessairement changé en plusieurs siècles. Après une Ouverture salutairement jouée rideau baissé apparaît une cité de logements sociaux comme l’on en rencontre dans les banlieues de RFA ou aux abords des Rings des villes d’ex-RDA. Ainsi les échafaudages (décors Patrick Bannwart) pourront aussi bien évoquer les préparatifs du fameux concours du solstice et la réhabilitation des immeubles, au même titre que Bösch se fait un devoir de réhabiliter l’opéra de Wagner, au fil d’une démarche assez naïve, au fond ; il s’agit encore de la réforme d’un art, ces échafaudages abritant des kilos de classeurs où sont prescrites toutes les règles de la poésie chantée. Le nobliau de passage, si brutalement énamouré de la fille du pays qu’il s’en improvise candidat de la docte maîtrise, se mue naturellement en musicien-loubard, sac de bourlingue et guitare sur le dos. Où se rend la procession où, en mauvais garçon, il vient la chahuter ? Rien n’est sûr. À motocyclette survient l’apprenti du cordonnier. Pogner est le potentat de la contrée, un rien mafieux. Le marqueur envoie des décharges électriques au candidat fautif. Stolzing, d’ailleurs assez porté sur le jaja, jette les classeurs et brise un buste adoré. Le Veilleur est un flic en service. Beckmesser pousse la sérénade depuis un engin de chantier. Et ainsi de suite, au fil d’une transposition systématique dont la lourdeur pourrait laisser sur le bas-côté plus d’une âme de bonne volonté.

Trois éléments n’y sont point négligeables, qu’on appréciera diversement.
D’abord, toute l’action se déroule de nuit : assailli par la surcharge du plateau, l’on ne s’en rend pas compte à l’Acte I puis, le II se passant effectivement sous les étoiles, c’est au III que l’obscurité saute aux yeux. Ensuite, fasciné par la représentation de la violence – ose-t-on rappeler l’étymologie et par elle ce qu’aux Romains fut le fascinum ?... –, David Bösch [lire nos chroniques du 17 mars 2015, du 7 juin 2014 et du 26 juillet 2011] invite une bande de méchants mioches arborant des masques de chimpanzés armés de matraques pour passer Beckmesser à tabac, avant de tomber sur le Veilleur, terrifié. Du coup, le marqueur arrive en fauteuil roulant, minerve et chemise ensanglantée à l’atelier du cordonnier, une estafette vétuste où il tente de se suicider en s’aspergeant d’essence sans pouvoir gratter efficacement son allumette, projet funeste qu’il réalisera à l’issue du concours en pressant contre sa tempe la gâchette d’un revolver, alors que le rival s’éloigne avec la promise sans même revenir sur sa décision, refusant le titre pour ne garder que le prix. Enfin, la proposition vidéastique de Falko Herold apporte une louable distance à cette distanciation plus kitsch que la littéralité, qui permet de prendre le large et d’écouter.

Et c’est à l’oreille que va tout le bonheur de la soirée, précisément.
Passons vite sur le Walther de Jonas Kaufmann que signalent beaucoup d’indices de fatigue ; souhaitons-lui le repos nécessaire à recouvrer tous ses moyens. On retrouve Okka von der Damerau [lire notre chronique du 27 juillet 2016] en Madgalene franche, onctueuse et souple qui volontiers rend son émission fauve, fort sensuelle. Parmi neuf maîtres-chanteurs exemplaires, citons le ferme Ulrich Reß en Zorn et le Schwarz musical de Peter Lobert. Le jeune Tareq Nazmi continue de satisfaire [lire notre chronique du 26 juillet 2016], en Veilleur, cette fois, où il ne démérite pas. De même le phrasé bien mené de la basse Christof Fischesser signe-t-il un Pogner honorable, quand Martin Gantner s’ingénie à révéler bien chantant son Beckmesser, à juste titre. Pour une incarnation attachante, la facilité de l’aigu, la saine unité sur toute la tessiture, félicitons Benjamin Bruns en David. Le soprano étatsunien Sara Jakubiak donne une Eva gracieuse et puissante qui s’accomplit vocalement dans le dernier acte.

Le plateau vocal est dominé par Wolfgang Koch, Hans Sachs infiniment délicat qui, en Liedersänger, s’attelle au texte plutôt qu’à la démonstration d’effets. Si de soir en soir avait pu gêner l’inégalité de son Wotan, on découvre un diseur de haut vol qui sait sortir le copieux livret de Wagner de tout bavardage. De fait, Sachs est poète et ne saurait mépriser la langue dont il mesure à sa juste portée chaque trait. Mais encore est-il artisan, un homme dont la prétention artistique est polie par la cordonnerie : la bonhommie jamais démonstrative du personnage porte loin l’incarnation – bravo !

Enfin, à l’inverse de sa Götterdämmerung parfois trop appuyée [lire notre chronique du 13 décembre 2015], Kirill Petrenko livre une interprétation indiscutablement enlevée, fluide, leste, à des années-lumière de la mise en scène. Un enthousiasme contagieux attaque d’emblée l’Ouverture, élan qui jamais ne faiblit, profitant de l’exquis jaillissement des bois comme de l’autorité des cordes, ciselant les soli sans afféterie pour autant, menant admirablement la bouffonnerie comme le transport amoureux, tour à tour lyrique et facétieux. Sous sa baguette, les excellents musiciens du Bayerisches Staatsorchester et les artistes plus qu’efficaces des Chor und Extrachor der Bayerischen Staatsoper (préparés par Sören Eckhoff) se surpassent. Voilà une fosse qui fait date, et une clôture de festival dignement grisante !

BB