Chroniques

par irma foletti

Don Pasquale
dramma buffo de Gaetano Donizetti

Opéra national de Montpellier / Comédie
- 20 février 2019
Opéra national de Montpellier : nouvelle production de Don Pasquale (Donizetti)
© marc ginot

Ce nouveau spectacle, conçu en coproduction avec le Badisches Staatstheater Karlsruhe, est une première puisqu’il s’agit du premier opéra adapté en langue des signes française. L’adjectif française a son importance, la langue des signes n’étant pas universelle – contrairement à ce que je pensais jusqu’à présent – : il a donc fallu traduire le livret original italien de Giovanni Ruffini, avant de pouvoir signer à l’attention d’une partie du public sourde ou malentendante. Le couple de chant-signeurs Katia Abbou et Vincent Bexiga fait partie intégrante du spectacle, signant l’ensemble des récitatifs et airs des protagonistes, sans amener aucune gêne ni redondance, mais plutôt en enrichissant la réalisation visuelle. La traduction des passages extrêmement rapides en chant sillabato est un spectacle dans le spectacle, et on retient aussi, par exemple, le duo d’amour entre Norina et Ernesto, Tornami a dir che m’ami, à l’Acte III, où le couple de signeurs semble par instants adopter les gestes d’une parade nuptiale. Ce traitement ravit l’ensemble du public, dont la cinquantaine de personnes sourdes ou malentendantes. Quelques surtitres spécifiques leur sont aussi destinés, concernant la musique, des mentions souvent savoureuses, comme « accords solennels de tout l’orchestre » ou encore « musique techno rythmée » au début de l’Acte III lorsque Norina a pris le pouvoir dans la maison de Don Pasquale.

La production de Valentin Schwarz penche, en effet, très franchement vers le côté bouffe de l’ouvrage, le décorateur Andrea Cozzi situant l’intrigue dans une sorte de cabinet de curiosités de Don Pasquale, grande bibliothèque avec des animaux aquatiques empaillés, fantastiques pour la plupart, suspendus au plafond. Un Pasquale échevelé aux allures de Don Quichotte est assis dans un fauteuil ; il joue du violon, puis se lave les dents. Plus tard, ce n’est pas une gifle que Norina lui assène, cassant avec rage le violon du barbon. Lors de la fin heureuse, c’est un violon tout neuf que reçoit Pasquale. Au milieu de la pièce se dresse une petite tente où dort Ernesto, décorée de photos de sa bien-aimée. Norina descend des cintres, accrochée par deux câbles. Il s’agit d’une jeune fille à forte personnalité, aux longs cheveux bleus, poignard au côté et rangers aux pieds – une héroïne qui pourrait évoquer Lara Croft. Au III, la tenue se raccourcit, tout comme la coupe de cheveux, la demoiselle se retrouve jambes nues dans sa fourrure tombant au niveau de la taille, une vraie fêtarde, verre de vodka à la main. Les livres ont alors totalement disparu des rayonnages. Pendant les deux premiers actes, les coups d’éclats ne manquent pas, comme la conclusion du duo Norina-Malatesta en fin du I : elle envoie une bombe dans la tente qui explose et tout un pan de bibliothèque bascule pour s’écraser dans un fracas accompagné de fumées et flammes. Rideau ! L’action est donc fort dense, on sourit, on rit, l’humour est assez premier degré mais sans provocation, ni surcharge. L’équipe de réalisation reçoit tout de même quelques huées, au milieu des applaudissements majoritaires.

Vocalement le compte n’y est pas tout à fait, essentiellement en raison du manque de brillant et de grave des deux barytons, Bruno Taddia dans le rôle-titre [lire nos chroniques de La Calisto, Punch and Judy et Il barbiere di Siviglia] et Tobias Greenhalgh qui compose un Dottore Malatesta habillé en prêtre à soutane. Techniquement en place, ces voix manquent d’ampleur pour attirer tous les regards et les oreilles. Les limites dans le grave sont patentes, le duo bouffe de l’Acte III, Cheti, cheti, immantinente, mettant chacun en grand inconfort lorsqu’il faut descendre dans le grave à la fin de chaque strophe : Pasquale se réfugie dans le parlando, tandis que Malatesta transpose à l’aigu. Les premières notes du ténor Edoardo Milletti (Ernesto) nous réconfortent : la voix est suffisamment concentrée, les aigus faciles, le style élégant [lire notre chronique d’Armida]. Ses airs sont de très beaux moments de la soirée : le mélancolique Cerchero lontana terra et la sérénade élégiaque Com’è gentil, accompagnée par la guitare sèche, dont l’amplification n’était sans doute pas nécessaire. La justesse de l’intonation est perfectible, surtout sur les attaques où le chanteur paraît, par moments, chercher rapidement la note exacte, mais les moyens sont précieux. Le soprano Julia Muzychenko (Norina) est une heureuse découverte, avec un timbre de belle qualité, expressif, une musicalité sans faille, de la souplesse dans les passages d’agilité et des aigus à fort impact. Son italien n’est pas toujours compréhensible et peut être amélioré.

La direction musicale du jeune Michele Spotti (vingt-six ans) est de fort bonne facture, dynamique, alternant les nuances et les rythmes. La musique est vivante et pleine de ressort. Malheureusement, comme à peu près chaque représentation depuis la fin des travaux de rénovation du théâtre il y a quelques années, l’acoustique de la fosse d’orchestre renvoie une puissance démesurée. Dès l’Ouverture, les tutti montrent un volume inquiétant, tandis que certains soli sonnent un brin prosaïque, comme les cuivres très francs ou les percussions. Par la suite, les voix ont souvent du mal à passer cette espèce de mur de son, l’équilibre étant rétabli lorsque l’instrumentation devient plus légère. Un mot, enfin, pour le Chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie dont les brèves interventions n’appellent aucun reproche.

IF