Chroniques

par bertrand bolognesi

Don Quixote Op.35 de Strauss et Septième Op.92 de Beethoven
Isang Enders, Orchestre Philharmonique de Radio France, Vassili Petrenko

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 28 octobre 2016
Beethoven et Strauss par Vassili Petrenko à la tête du Philhar' de Radio France
© mark mac nulty

Alors qu’on pourrait croire la période peu propice à une fréquentation honorable des salles de concert parisiennes (congés scolaires, mais encore week-end de Toussaint), l’Auditorium de la maison ronde peut être fier d’être sur le point d’afficher complet un programme qui, sur le papier, semble sans surprise, et auquel aucun ophthalmoi surenchérit l’attrait. Voilà que retentissent les premiers accords, robustes du Poco sostenuto d’ouverture de la Symphonie en la majeur Op.92 n°7 de Ludwig van Beethoven. À la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France dont on ne reconnaît pas tous les musiciens, tant il est positivement envahi de jeunes gens, Vassili Petrenko dirige donc une œuvre classique, contrairement à ces précédentes apparitions à ce pupitre [lire nos chroniques du 17 octobre 2014 et du 16 octobre 2015].

On est rapidement convaincu par la lecture fort alerte, par ses judicieuses oppositions (la douceur du hautbois, la tonicité du tutti, etc.), l’accentuation vive et fuselée, la vigueur des salves de cuivres, mais encore sa joueuse acuité. Le Vivace gagne un élan qui ravit l’écoute, d’une fraicheur indicible, toujours en éveil. Au passage il faut souligner l’efficience des six contrebasses, simplement excellentes. De ce premier mouvement, le final affirme une admirable santé. L’Allegretto va bon pas, loin d’une dignité compassée, trouvant plutôt dans le maintien des équilibres une concentration qui mène bientôt le crescendo attendu en une tension inouïe. Une amabilité toute haydnienne vient déposer le second thème, dont les parties de clarinette et de basson s’avèrent idéalement servie, au fil d’une interprétation tant gracieuse que musclée. Le retour du motif, délicatement ouvragé, invite un fugato dans un filet de consort – qui ose le jouer ainsi ? L’introspection se fait si noble que les quelques appuis colère qui, pour finir, surviennent, sont investis d’une autorité indiscutable. Bondissant d’attaques en fracas, le Presto prend appui sur la joie du contraste, sans rien omettre pour autant, dans l’énergie recouvrée de l’épisode initial, rondement menée. Lorsque les bois réalisent leurs échanges, d’ailleurs très raffinés, la rumeur guerrière n’est jamais loin de lost. Ces échos de bataille, Vassili Petrenko les convoque avec plus grande maîtrise encore dans l’Allegro con brio où il marie rage et mélancolie tout en révélant des détails d’orchestration, par-delà notre fréquentation de l’œuvre. Sans finasser mais naturellement musical, il signe une version ardente qui ravit la salle.

Ce sain bouillonnement, le jeune chef russe le peut mettre à contribution de toute autre manière dans l’opus 35 de Richard Strauss, Don Quixote, sous-titré Phantastische Variationen über ein Thema ritterlichen Charakters, soit variations fantastiques sur un thème au caractère chevaleresque – de quoi célébrer le tétracentenaire de la disparition de Miguel de Cervantès dont le deuxième livre du fameux ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha paraissait en 1615. Entre vingt-deux et trente-cinq ans, le fringuant Bavarois écrivit pas moins de huit Tondichtunge ; la septième renoue avec la verve enjouée de la cinquième, Till Eulenspiegels lustige Streiche Op.28 – deux pages que plus justement sans doute l’on appellera des Symphonisches Gedichte (des histoires symphoniques plutôt que des poèmes sonores). Dans cette partition conçue de l’automne 1896 aux derniers jours de l’année suivante, puis créée à Cologne le 8 mars 1898, dix variations brossent l’épopée de l’hidalgo personnifié par un violoncelle obligé, d’abord intégré à l’orchestre mais de plus en plus isolé, à l’instar du fameux idéaliste. Après Alexis Descharmes qui le jouait avec Paul Daniel à Bordeaux en début de saison [lire notre chronique du 17 septembre 2016], il revient à Isang Enders, remarqué l’automne dernier dans le Concerto pour violoncelle d‘Unsuk Chin [lire notre chronique du 9 octobre 2015], d’endosser l’habit instrumental du Quichotte, dialoguant avec le violon d’Amaury Coeytaux et l’alto de Marc Desmons.

De cet opus passionnant qui sans arrêt débute sans y arriver, recommence et ainsi de suite, pour, après une sorte de recitativo d’opéra baroque, réussir enfin à naître dans une mélodie violoncellistique au moment où le héros vient à mourir – s’affranchissant de ce qui le fit personnage de légende, le Quichotte devient humain, donc il meurt, ce qui paradoxalement en scelle la légende –, Vassili Petrenko infléchit une lecture infiniment élégante, loin d’un glamour meringué, y compris dans les amorces de valse. Sa gracile clarté s’épice des audaces de l’écriture des cuivres, de l’étonnante fragmentation et d’un humour tout à tout caustique et attendri. De l’errance, l’œuvre s’emporte dans une dinguerie qui fait penser aux diableries du dernier acte de Rosenkavalier comme à la frénésie de Die schweigsame Frau. D’une modernité folle, les Flatterzunge de la petite harmonie créent un effet d’étrangeté absolue. Un lyrisme précieusement contrôlé habite encore cette interprétation dûment applaudie.

BB