Chroniques

par gilles charlassier

Edward Grieg, Giya Kantcheli et Krzysztof Penderecki
Lukáš Vondráček, Orkiestra Filharmonii Narodowej, Andreï Boreyko

Festiwal Eufonie / Filharmonia Narodowa, Varsovie
- 27 novembre 2021
Sous la direction d'Andreï Boreyko, Lukáš Vondráček joue l'Opus 16 de Grieg
© alicja szulc

Pour clore son édition 2021, Eufonie met à l’honneur le pays hôte, avec l’Orkiestra Filharmonii Narodowej (Orchestre philharmonique national de Pologne), sous la baguette de son directeur musical, Andreï Boreyko. Et c’est avec une figure tutélaire de la musique polonaise du XXe siècle que s’ouvre ce dernier concert : Krzysztof Penderecki (1933-2020). En un seul mouvement d’environ une demi-heure, la Symphonie n°2, surnommée Symphonie de Noël en raison des trois occurrences du motifs de Stille Nacht, a été écrite 1979-1980. Elle impose un dramatisme puissant. La densité de la facture orchestrale, qui n’hésite pas à solliciter les pupitres graves, trouve un relais dans l’identité sonore de la phalange polonaise, où la définition des attaques et de la ligne s’incorpore dans une vigueur parfois massive, que le chef russe ne manque pas d’accompagner, sans déséquilibrer la force poétique. La pièce prend parfois des allures de procession, voire de thrène, au fil des cinq sections – Moderato, Allegretto, Lento, Tempo I, Allegretto –, sans jamais céder à l’ivresse du climax, dans une tension modulée avec justesse par la présente lecture, habitée quoique sans exhibition de ferveur.

Dans le Concerto pour piano en la mineur Op.16 d’Edward Grieg, cette texture compacte est contrebalancée par le jeu souple de Lukáš Vondráček [lire notre chronique du 14 septembre 2019]. Dès l’Allegro molto moderato initial, le soliste tchèque répond au tutti par un phrasé félin dans lequel se condense une délicatesse aux confins de la pudeur, sans renoncer cependant aux ardeurs du sentiment. L’Adagio distille une douceur lyrique, portée par la fluidité du chant pianistique et un accompagnement sobre et efficace. L’énergie irrésistible du final n’écrase jamais l’expression et accomplit la noblesse instinctive de la musicalité du piano, dans l’ivresse pulsative d’une virtuosité empreinte d’une authentique sensibilité, loin de toute démonstration gratuite, qui n’oublie pas de ménager une clairière extatique avant l’ultime élan.

Si l’évocation de la période de Noël affleurait dans la Symphonie n°2 de Penderecki, elle revient dans le titre du cycle pour orchestre de chambre et bande magnétique du Géorgien Giya Kantcheli, Life without Christmas, dont sont tirés les Morning prayers. Les inserts enregistrés constituent un contrepoint intermittent à ce vaste halo votif aux bornes de l’inspiration religieuse, qui s’inscrit dans un tropisme sensible en d’autres pages programmées par cette édition 2021 du festival, à l’image d’une des facettes importantes de la musique contemporaine en Europe centrale et orientale. Pour autant, ce collage habile et immersif évite l’hypnotisme trop facile et développe une narration évocatrice et construite que les pupitres polonais ne négligent pas. Entre passé et présent, héritages et traditions renouvelées, cette clôture résume les intentions artistiques d’Eufonie : au carrefour de l’Europe et des esthétiques [lire les épisodes 1, 2 et 3 de notre feuilleton].

GC