Chroniques

par irma foletti

Elektra | Électre
opéra de Richard Strauss

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 27 juin 2021
Michel Fau signe la nouvelle "Elektra" (Strauss) du Capitole de Toulouse
© mirco magliocca

Un grand merci au Capitole de Toulouse qui laissera des souvenirs impérissables aux spectateurs chanceux ayant assisté à l’une des cinq représentations d’Elektra (dernière le 5 juillet). On le sait, le rôle-titre est l’un des plus exigeants, à la fois pour les cordes vocales et quant au jeu, avec un personnage présent en scène du début à la fin. Ricarda Merbeth compose une très grande Elektra, dans la lignée des plus prestigieuses titulaires du rôle. Le soprano allemand apparaît dans une forme éblouissante, déroulant une articulation particulièrement soignée du texte, maintenant constamment le vibrato dans un dosage agréable et propulsant ses aigus comme des flèches. Un certain âge d’or du chant passe par sa voix, du suraigu facile aux graves pleinement nourris [lire nos chroniques de la Huitième de Mahler, de Die tote Stadt, Lohengrin, Elektra à Nantes et à Paris, Der fliegende Holländer à Strasbourg et à Bayreuth, de la Neuvième de Beethoven, de Lear, Die ägyptische Helena et Siegfried, ainsi que de son Liederabend parisien].

La Klytämnestra de Violeta Urmana marque également l’auditoire par une incarnation d’une grande force. Ayant commencé sa carrière dans le registre de mezzo, passée soprano ensuite et revenant aujourd’hui à sa tessiture d’origine, la chanteuse lituanienne a conservé ses formidables moyens, un instrument d’une égale qualité sur toute la hauteur et d’une expressivité à l’autorité parfois glaçante lorsqu’elle puise dans ses graves profonds [lire nos chroniques de La forza del destino, Macbet, du Concert Wagner, de La Gioconda, Aida, Don Carlo et Œdipe]. Pour compléter le trio féminin, Johanna Rusanen en Chrysothemis impressionne par la puissance de la projection de l’aigu et, même si quelques notes les plus haut perchées sont tendues à l’extrême, on entend là un soprano idéalement dimensionné pour Wagner et certains Strauss.

Côté masculin, la présence de Matthias Goerne en Orest est un luxe qu’on apprécie à sa juste valeur. D’une suprême richesse, le timbre est de couleur sombre, bien en accord avec l’allure hiératique conservée jusqu’au moment de la reconnaissance par sa sœur. Pour compléter les emplois principaux, le ténor Frank van Aken caractérise au mieux Aegisth pendant sa brève apparition, entre l’entrée en scène et son assassinat. Les multiples rôles secondaires sont tenus avec vaillance, mais pas toujours avec la meilleure diction allemande. En raison des contraintes sanitaires encore en vigueur, les choristes, pour leur courte intervention finale, sont placés au dernier étage de la salle.

Les mesures de distanciation physique ne permettant pas de placer en fosse l’ensemble de l’effectif orchestral prescrit par Richard Strauss, Michel Fau a opté pour l’intelligente solution de le répartir sur le plateau [lire nos chroniques de ses mises en scènes de Madama Butterfly, Ciboulette, Ariadne auf Naxos et Le postillon de Lonjumeau]. Ainsi les instrumentistes sont-ils installés derrière un rideau de tulle peint par Phil Meyer, représentant des corps enchevêtrés qu’on devine et pouvant apparaitre sous différentes couleurs grâce aux éclairages réglés par Joël Fabing. L’espace de jeu est alors situé à l’avant de ce rideau, au-dessus de l’habituelle fosse d’orchestre, ce qui présente un double avantage : l’évidente proximité avec le public, mais aussi une épreuve en moins pour les solistes, celle de ne pas avoir à franchir vocalement un orchestre pouvant constituer un mur de décibels dans les moments de paroxysme. La scène s’avère donc de profondeur réduite, mais elle est utilisée au maximum, avec quelques éléments de décors conçus par Hernán Peñuela, des sculptures (également de Phil Meyer) – principalement la statue cassée d’Agamemnon, gisant à terre, tête plantée de multiples flèches, tandis que le piédestal avec la partie basse des mollets est posé sur un petit échafaudage.

Frappante, la première apparition d’Elektra pourrait évoquer une captation bien connue des amateurs, le film d’opéra Götz Friedrich, musicalement dirigé par Karl Böhm, avec Leonie Rysanek dans le rôle-titre (1981). Même robe grise, mêmes cheveux noirs et longs, même regard halluciné ; il ne manque que la pluie qui tombe drue dans le film. La production, ainsi que les autres costumes réalisés par Christian Lacroix, s’écartent ensuite de cette référence – avec, par exemple, la robe rouge écarlate, ou la chevelure de Klytämnestra, personnage poussée sur le plateau dans une boîte sur roulettes, hérissée de pointes à l’intérieur. Certains choix de Michel Fau se révèlent novateurs et forts, en particulier celui de faire mourir en scène la reine puis Aegisth.

L’Orchestre national du Capitole, phalange rutilante et capable d’une généreuse variété de nuances entre les petites phrases des solistes et les déchainements des tutti, et Frank Beermann au pupitre [lire nos chroniques du 17 mars 2019 et du 26 janvier 2020] sont aussi les grands triomphateurs de la soirée. Aucun décalage n’est à déplorer malgré la position du chef qui tourne le dos à ses chanteurs – on voit le regard des solistes très régulièrement tourné vers l’écran situé en fond de parterre, visant la baguette qui donne les départs. Le rideau de tulle se lève pour les dernières mesures, ce qui n’est que justice pour les musiciens et amène un petit effet théâtral supplémentaire… merci à nouveau !

IF