Chroniques

par irma foletti

Elisabetta, regina d’Inghilterra | Élisabeth, reine d’Angleterre
dramma per musica de Gioachino Rossini

Rossini Opera Festival / Vitrifrigo Arena, Pesaro
- 8 août 2021
Elisabetta, regina d’Inghilterra, opéra de Gioachino Rossini donné à Pesaro
© studio amati bacciardi

Après le traitement un peu trop sérieux de la farce Il signor Bruschino [lire notre chronique de la veille], la nouvelle production de Davide Livermore d’Elisabetta, regina d’Inghilterra donne cette fois l’impression d’un opera buffa. Même si l’intrigue se conclut sur une fin heureuse, il s’agit tout de même d’un dramma per musica, que le Rossini Opera Festival (ROF) a monté une seule fois dans son histoire, en 2004. Le sentiment d’un titre comique est d’ailleurs complet en écoutant la même Ouverture que celle du Barbiere di Siviglia et en regardant des domestiques qui font le ménage en dansant en rythme. Le dispositif technique est le même que pour Moïse et Pharaon deux jours plus tôt [lire notre chronique de l’avant-veille], à savoir un mur vidéo en fond de plateau, dont l’utilisation par la société D-wok est plus aboutie cette fois, tandis que le proscenium (qui passe devant l’orchestre) n’est quasiment pas exploité.

Nous sommes bien en présence de la reine Elisabeth, toutefois pas celle du livret écrit par Giovanni Schmidt pour Rossini, mais Elisabeth II, une Karine Deshayes très ressemblante à l’actuelle Queen, portant perruque et diadème et chaussant ses lunettes pour lire une lettre. Le metteur en scène situe visiblement l’action pendant la Seconde Guerre mondiale, en montrant des images de bombardements, d’avions volant au secours de Londres assiégée, avant que Leicester ne soit accueilli en sauveur. Chacun s’incline lorsque la reine parle, deux Welsh Gards font les cent pas, on ouvre des parapluies pour rappeler les caprices de la météo britannique et Norfolc est un sosie de Winston Churchill, cigare à la bouche et haut-de-forme sur le crâne. Les images sont aussi de belle qualité, un cerf dans la brume, de très jolis ciels nuageux, du feu et des flammes, des tons rouges pour la prison du second acte ou encore des profilés métalliques en fin d’ouvrage. Mais tout est question de dosage, et le spectateur arrive malheureusement vite à saturation devant les mouvements qui tournent à l’agitation, par moments, les animations vidéo riches et changeantes, ainsi que le paravent transparent en avant-scène qui monte dans les cintres et en redescend de nombreuses fois. La scène finale de résolution du drame accuse par ailleurs un fort déficit de naturel, lorsque Norfolc est désarmé et que tous basculent dans les réjouissances.

Après son concert lyrique l’année dernière au ROF, Karine Deshayes est de retour, pour endosser à présent les habits du rôle-titre. Le mezzo français déploie son timbre séduisant et sa technique au cours du difficile air d’entrée, mais plus tard la conclusion dans le final de l’opéra ne la montre pas en aussi bonne forme, laissant finalement à l’auditeur une impression un peu mitigée. Sa consœur soprano Salome Jicia est, quant à elle, une grande habituée du festival. Le rôle de Matilde ne la sollicite certes pas autant que son dernier emploi assuré ici, Semiramide [lire notre chronique du 20 août 2019], mais on admire à nouveau sa grande technique belcantiste. Le ténor Sergueï Romanovsky (Leicester) ne nous semble pas dans sa meilleure forme vocale, à tel point qu’on peut se demander s’il ne marque pas sensiblement quelques aigus au cours du premier acte, dans le duo avec Matilde en particulier. Les graves sonnent toujours avec épaisseur, mais la partie aigüe du registre n’est révélée que lors de la scène de la prison au II, Della cieca fortuna un triste esempio. Le chanteur y laisse visiblement quelques forces, à l’écoute de petites fêlures au cours des récitatifs avec Norfolc qui suivent [lire nos chroniques de Castor et Pollux, Lucia di Lammermoor, Le siège de Corinthe, La bohème, Don Carlos, La donna del lago, Ricciardo e Zoraide, Rigoletto et de la Messa da Requiem]. L’autre ténor, Barry Banks (Norfolc) fait cette année ses débuts, bien tardifs, au ROF. La virtuosité n’est plus aussi rapide qu’il y a quelques années et le volume s’est amoindri, sauf pour certains aigus encore projetés avec vigueur. Le timbre est plutôt acide et pas des plus séduisants, mais il a le mérite de correspondre au rôle du méchant, alors que par ailleurs son allure est bien celle d'un Churchill. Dans les rôles secondaires, Marta Pluda (Enrico) complète avantageusement, mais on est moins convaincu par l’instrument instable de Valentino Buzza (Guglielmo).

Evelino Pidò est loin de débuter dans le répertoire rossinien, et pourtant il dirige ici pour la première fois, les forces en présence étant les mêmes que pour Moïse et Pharaon, à savoir l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI et le Coro del Teatro Ventidio Basso. Le chef imprime une direction très solide techniquement, mais quelques-unes de ses initiatives en termes de nuances ou de rythmes s’avèrent trop peu surprenantes – par exemple, des ralentissements puis accélérations choisis comme des artifices et qui semblent casser le flux naturel. Absolument rien de scandaleux, toutefois, et la qualité musicale concourt à la réussite de l’ensemble, même si au bilan on peut penser, du point de vue vocal, que certains protagonistes ont encore une marge de progression lors des prochaines représentations.

IF