Chroniques

par françois cavaillès

En blanc et noir
spectacle des Percussions Claviers de Lyon

Festival de Saint-Céré / Théâtre de l'Usine
- 8 août 2019
les Percussions Claviers de Lyon jouent Messiaen et Debussy
© david myriam

Marimba, vibraphone et xylophone sont les principaux instruments joués par les Percussions Claviers de Lyon, collectif en activité depuis 1983 et toujours prêt à expérimenter, tels des apprentis chimistes en leur laboratoire, des arrangements originaux et des compositions nouvelles. Et lorsque, rompu aux concerts [lire nos chroniques de West Side Story, Trois contes, Vingt mille lieues sous les mers, ainsi que du concert Émilie Simon], le quintette tient à nouveau son assemblée au Festival de Saint-Céré, le Théâtre de l’Usine fait salle comble pour se demander ce que Debussy aurait fait de tels instruments. C’est notamment avec cette question précise, en préambule au récital, que le directeur artistique du groupe, Gilles Dumoulin, a déroulé le programme de la soirée, en annonçant aussi la recherche d’une correspondance entre Messiaen et Debussy, à travers leurs préludes, ainsi que la présentation simultanée de dessins sur sable, effectués en direct par David Myriam (et projetés, comme sur une toile de cinéma de plein air, sur le mur du fond).

Dès le coup d’envoi, où les musiciens en imposent déjà par la précision et le tact, dans le plus grand soin apporté à l’acoustique, et la performance apparaît déjà inédite, les esprits spectateurs se piquent de curiosité pour une mélodie, suivie d’un écho. Puis un refrain les subjugue... Le tout augure une belle remise en forme. Douce musique, aux sons riches, tendue vers l’ailleurs : un air polynésien, peut-être, si l’on garde en tête l’amour du gamelan que le jeune Debussy découvrait lors de l’Exposition universelle de Paris de 1889 (en compagnie du petit Ravel, au Kampong javanais, grâce à l’ensemble Sari Oneng Parakansalak venu de Sumedang, à l’Ouest de Java). Avec fantaisie, emportement et sérieux – qualité maîtresse de l’art du gamelan, selon le grand spécialiste canadien Michael Tenzer –, le premier mouvement de la suite En blanc et noir (1915) impressionne de plus en plus, jusqu’aux jeux de rythme finaux qui forment une intéressante ponctuation, déclinée par des percussionnistes experts.

Lumières rouges et écran vidéo allumé, rythme tribal puis notes éparses, avec le même dévouement sur scène dans une musique certes sophistiquée mais très attirante dans son profond secret – et voici les premières images de David Myriam, au ton ocre foncé : une ligne d’horizon, doublée, triplée, un paysage, un personnage comme suspendu, ou plutôt tirant vers le haut quelques fils (de ballons ?). À mesure que le calme du mouvement lent prend la sombre marque de la Seconde Guerre mondiale, la saturation visuelle laisse le paysage déconstruit. Au durcissement musical (traversé par un choral luthérien, et poussé près de l’éclatement), sont esquissées des silhouettes perdues dans une tranchées, dubitatives. En blanc et noir jusqu’au bout (vers le surréalisme), le joli tableau bicolore demeure, le dessinateur prenant du repos, au moment du scherzo conclusif, courant et galopant, murmuré et rêveur un peu fou. Par des crépitements, des échos diffus, Debussy s’est réincarné en ces Percussions Claviers de Lyon – opération spirituelle, évidemment réussie, à l’écoute des prochains arrangements (de préludes) !

Entre-temps se dépose la Nèj, musique de Denis Fargeton, égouttée en une superbe symbiose audio-visuelle (à la tombée de notes en flocons de sable), poursuivie en belles résonances (associées à des vrilles cuivrées, amies de Fernand Léger) et conclue en froides dissonances. Le plaisir des yeux l’emporte devant la succession tourbillonnante de créations, du figuratif à l’abstrait. Grand art, populaire et vivace, subtil et raffiné, que l’animation de sable !

En entrée aux Préludes, Les collines d’Anacapri (Livre I, 1909-1910) répond fort bien aux attentes des connaisseurs, dès les premières phrases mélodiques, au ton rêveur. Toute de percussions, l’évocation prend un caractère moins napolitain qu’asiatique et fait penser à l’estampe japonaise (prisée par le compositeur) et, peut-être, sous l’impression tenace du gamelan, certains éclairs du collectif nippon Geinoh Yamashirogumi – surtout connu pour son enregistrement de la musique du film Akira (Katsuhiro Ōtomo, 1988). Comme pour illustrer le propos sonore teinté d’Extrême-Orient, David Myriam représente avec délicatesse une fillette au bord de l’eau. À la même source, Des pas sur la neige envoûte, presque monotone et de sonorités admirables. Fidèle au titre, le dessin comporte un gros soleil rassurant, puis le marcheur, qui paraît si clair (par simple identification, peut-être), et enfin son ombre au moment même où la musique semble s’évaporer : effet grandiose et adorable pour qui croit fort aux rapports entre les arts. Une lumière vive efface un peu l’œuvre esquissée, rappelant l’éphémère de toute chose.

S’ensuit le portrait du Général Lavine – Excentric (Livre II, 1910-1912). Entre deux explosions, la figure dégingandée, jazzy et enfantine, prend vie en syncopes réussies grâce à l’excellent minutage des interprètes. Elle ne ressemble guère à Olivier Messiaen dont les trois préludes suivants (1928/29) font sensation (sans dessins simultanés), entre romantisme et impressionnisme. Les adaptations y sont à leur meilleur, apportant une indubitable valeur ajoutée à une œuvre peut-être jamais aussi expressive. Enfin, le retour à Debussy avec trois derniers préludes (Voiles, La danse de Puck et Feux d’artifices) s’avère des plus captivants, comme peut l’être le monde marin, transcrit en suivant les métamorphoses graphiques (animales, voisines de Chagall) et la traversée auditive de la ligne de flottaison, dans l’écume scintillante. L’émotion grandit entre les notes, le monde représenté court vers une fin. Pour symbole, il reste, dans une boule solaire, ce personnage initial à qui passent par la tête ou le haut du corps des fils ou des flux ondulés.

En bis, l’intense Gravity (2013) de Marc Mellits module le volume des percussions fermement réunies en clôture d’une soirée inspirante et inoubliable. L’animation se termine par une vision comme extraite du court-métrage L’Homme qui plantait des arbres (Frédéric Back, 1987, adapté d’une nouvelle de Jean Giono). À portée du brave héros, paysan simple et digne, un petit globe terrestre lévite, luisant comme une boule de Noël.

FC