Chroniques

par gilles charlassier

Esa-Pekka Salonen | Karawane
Maurice Ravel | L'enfant et les sortilèges

Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Paul Daniel
Philharmonie, Cologne
- 7 novembre 2015
Paul Daniel joue Ravel et Salonen à la Philharmonie de Cologne
© dr

Initialement à l'affiche de la première colonaise de sa dernière création, Karawane, portée sur les fonds baptismaux par Lionel Bringuier en septembre 2014 à la Tonhalle de Zurich – commanditaire de l'œuvre aux côtés du Sveriges Radios Symfonieorkester et du New York Philharmonic –, Esa-Pekka Salonen a dû, pour ce programme importé du Bayerischen Rundfunks à Munich où il fut donné la veille et l'avant-veille, céder la baguette à Paul Daniel que désormais l'on connaît bien à l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine dont il est le directeur musical depuis 2012 [lire notre chronique du 21 juillet 2015 et notre critique du CD]. Exact contemporain du compositeur finnois – à six jours près –, le chef anglais s'attache à faire résonner le métier généreux d'une partition qui rend hommage au passé dadaïste de la première place économique de la Suisse, berceau de l'un des plus éminents mouvements artistiques contestataires du siècle dernier, à travers un poème d'Hugo Ball (1886-1927) qui lui sert de muse et de matrice.

Si le titre peut évoquer les pérégrinations bédouines, les murmures chorals qui ouvrent la pièce témoignent aussi d'une démonstration de maîtrise des timbres et des masses sonores qui innerve les trente minutes de musique. L'écriture privilégie souvent l'effet, au diapason d'un texte en langue imaginaire qui s'attache avant tout à dépayser l'oreille par ses chatoiements sonores plus qu'à tisser un fil narratif. Celui-ci n'est pas absent pour autant, au gré de modulations d'intensifications dynamiques où la phalange munichoise s'épanouit parfois aux confins de la saturation. Le contraste des atmosphères, l'habileté à distribuer des interventions sonores en marge du maelström, participent de l'attrait exercé sur le public, qui constitue à cette aune une incontestable réussite de la création contemporaine.

En seconde partie de soirée, Paul Daniel livre une lecture énergique et colorée de L'enfant et les sortilèges. Version de concert ne rime pas nécessairement avec paralysie des solistes, ces derniers sachant tirer parti de l'espace du plateau et d'un plaisir dans le jeu, quitte à appuyer parfois la caractérisation, à l'image d'Hélène Hébrard dans le rôle de l'Enfant, au demeurant mezzo parfaitement à la hauteur. On goûtera sans retenue la gourmande Mère campée par Sophie Pondjiclis [lire nos chroniques du 18 juin et du 7 mai 2015], le babil aérien de Marie-Eve Munger en Feu, Princesse et Rossignol, ou encore la Chauve-souris virtuose d'Eri Nakamura [lire nos chroniques du 19 juin 2015 et du 26 juillet 2011]. Certains emplois n'économisent pas leurs efforts, tels Eric Owens, Arbre charpenté, ou Nathan Berg, Horloge aux moyens çà et là menacés par l'expérience. François Piolino affirme un savoir-faire évident en Théière [lire notre critique du DVD] quand Julie Pasturaud ne démérite point en Berger ou en Chatte. Les interventions du chœur ainsi que des enfants en renfort contribuent au déploiement de la palette ravélienne, à défaut d'une délicatesse irréprochable.

GC