Chroniques

par laurent bergnach

Falstaff
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra de Massy
- 15 novembre 2013
Falstaff, opéra de Giuseppe Verdi
© jef noel

Malgré la crainte d’y laisser sa santé et celle de voir Arrigo Boito négliger son propre Nerone, Verdi (1813-1901), à plus de soixante-quinze ans, rend les armes devant l’argument alléchant de son librettiste : « il n’y a qu’un seul moyen de finir plus en beauté qu’avec Otello, c’est de finir victorieusement avec Falstaff » (9 juillet 1889). Certes, adapter The Merry Wives of Windsor (1602) n’est pas nouveau sur la scène lyrique – Papavoine (1761), Ritter (1794), Dittersdorf (1796), Salieri (1799), Nicolai (1849), Adam (1856), etc. –, mais Verdi révère Shakespeare et songeait déjà à un opéra-comique en 1849, à l’époque d’une présentation milanaise de la pièce. Le compositeur de Macbeth (1847) [lire notre critique du DVD] et d’Otello (1887) [lire notre critique du DVD] renonce donc à célébrer le cinquantenaire d’Oberto (1839), son premier opéra, choisit de renouveler son art et, comme promis par Boito, se sent rajeunir à écrire cette « fugue buffa », à son rythme et en secret, jusqu’à sa création victorieuse à la Scala, le 9 février 1893. À défaut d’avoir pu livrer Le roi Lear dont il rêva une moitié de sa vie – un personnage offert en vain à Mascagni, en 1896, lequel choisirait lui aussi Néron [lire notre critique du DVD] –, l’admirateur du dramaturge anglais réussit ses adieux au théâtre.

« Falstaff nous amuse et nous séduit, explique le metteur en scène Jean-Louis Grinda, parce qu’il créé ses propres illusions et offre à tous, personnages et spectateurs, le monde tel qu’il le rêve. Peu importe la réalité, elle doit impérativement se plier à tous ses désirs. Ainsi il est l’Auteur de sa vie, fuyant la pression du réel et sa mélancolie pour s’engouffrer dans un monde illusoire où il puisera sa propre vitalité. Conscient de son génie, il sait qu’il donne du talent, malgré eux, à ceux qui l’entourent. Placer cet immense effort d’imagination sous le sceau du réel m’a donc semblé trop réducteur. J’ai donc choisi le prisme de la fable qui met à distance tout en accompagnant parfaitement la douce folie de l’histoire. »

À l’instar des moralistes d’antan (Ésope, La Fontaine, etc.), l’actuel directeur de l’Opéra de Monte-Carlo a misé sur la transposition de la condition humaine dans un univers de basse-cour (coq, poule, chat, souris, pintade, etc.) qui fait le sel visuel de cette production de 2010. En revanche, la présence de livres géants, créant une distance supplémentaire mais visuellement assez laide, gâche les effets des seuls costumes signés Jorge Jara. De même, celle d’inserts vidéo (Acte III) est totalement dispensable alors que le tableau du parc nocturne, à base de fantasmes en carton-pâte, lumière noire et touches fluo – les Cris de Paris, Les Enfants de la Comédie –, rend compte avec féérie de la mystification bon-enfant dont est victime le Pancione (Gros ventre).

Déjà Rigoletto à Massy, le baryton Olivier Grand incarne le rôle-titre avec une solide ampleur. Notre préférence va pourtant à Armando Noguera (Ford) – loin des douloureux Sumidagawa [lire notre chronique du 3 avril 2008] et Die weiße Rose [lire notre chronique du 29 janvier 2013] – pour son chant impacté, ferme et nuancé. Entre What next ? de Carter [lire notre chronique du 30 novembre 2012] et Les pigeons d’argile d’Hurel (création à Toulouse le 15 avril 2014), Gilles Ragon (Cajus) s’offre une parenthèse belcantiste, assumée avec un ténor vif. Dans cette même tessiture, Carl Ghazarossian (Bardolfo) est lumineux et Julien Dran (Fenton) très vibrant. La basse Éric Martin-Bonnet (Pistola) s’affirme, comme à son habitude, plein de santé musicale.

Madame Lidoine ici même, l’an passé [lire notre chronique du 13 janvier 2012], Isabelle Cals (Alice) offre un chant fluide, agile et expressif, en contraste avec le soprano frais et léger de Valérie Condoluci (Nannetta) – entendue récemment dans Akhmatova [lire notre chronique du 28 mars 2011]. L’alto Élodie Méchain (Mrs Quickly) séduit particulièrement dans l’évocation du Chasseur Noir, et le mezzo Marie Lenormand (Meg) par un chant plus confidentiel que ces consœurs mais à l’articulation soignée. Tous profitent ici de l’attention que leur portent Roberto Rizzi Brignoli, grand serviteur de Verdi et Donizetti, des plus nuancés à la tête de l’Orchestre national d’Île-de-France.

LB