Chroniques

par bertrand bolognesi

Farnace
opéra d’Antonio Vivaldi

Opéra national de Bordeaux
- 27 juin 2003
© guillaume bonnaud

Le Grand Théâtre accueille le Farnace produit par le Teatro de la Zarzuela y Caja Madrid. S’il s’agit bien de la production madrilène, avec la même distribution à un rôle près, le même chef et le même orchestre, qu’en est-il de la mise en scène ? En 2001 Emilio Sagi signait un spectacle fastueux et baroque à souhait. Rien de tel à Bordeaux : Clovis Bonnaud règle, comme il est indiqué dans la brochure de programme, une mise en scène pour la production de l’Opéra national de Bordeaux, réalisée par Guido Achilli – à supposer que ce dernier aura imaginé une mise en scène réalisée sur le plateau par Clovis Bonnaud...

Le résultat est assez honorable, avec uniquement deux réserves. D’abord, il est gênant que les soldats soient joués par des femmes. Deux hommes, deux femmes, pour la garde pompéienne, ça ne marche pas. On accepte aisément la convention de travestissement propre à l’opéra vénitien – alors que Rome et Naples distribuaient des castrats dans les rôles de Pompeo et Gilade –, pour l’agrément de la vocalité, mais c’est inepte pour une figuration. L’autre problème touche à la cohérence textuelle : le fils de Farnace est caché par sa mère dans le Temple, ici simplement enfoui sous la scène par une trappe décrite par Tamiri d’imposant édifice… ce qui prête plutôt à rire. Pour le reste, la pénombre dans laquelle se déroule une intrigue inquiète s’avère justement pensée.

En salle, on ne retrouve pas exactement la prise de son de la même équipe au disque, et c’est tant mieux. Jordi Savall propose un travail nettement plus élégant, moins lourdement pompeux, moins systématiquement appuyé, laissant apprécier les nuances et la dynamique. Il entretient une vraie tension, un suspens intéressant, plutôt que de livrer le drame dès le départ. Bien des chefs ont tendance à surenchérir la vivacité des attaques et l’intervention du clavecin dans les accompagnements de récitatifs : il n’en est rien ici, la basse continue comme les deux clavecins se montrant plutôt discrets et délicats. Les musiciens du Concert de Nations affirment une grande fiabilité.

Sur scène, Adriana Fernandez campe une Berenice redoutable et inquiétante. Elle paraît quasiment folle dans la dernière scène en déclarant éteinte sa haine, de même que sa fureur est plus proche d’un égarement psychiatrique que de la possession classique. La voix est intéressante et présente, bien que les graves sonnent peu. La Selinda de Gloria Banditelli est irréprochable techniquement, tout en manquant de style au point d’en paraître parfois insensible. Elisabetta Scano offre un Gilade d’une grande fraîcheur, avec de beaux aigus. Pour avantageusement sonore qu’il soit, Furio Zanasi en Farnace est trop souvent à côté de la note pour justifier l’engouement que le public manifeste à son égard. En revanche, le Pompeo de Sonia Prina est exemplaire, réalisant des ornements et des vocalises d’une agilité impressionnante. De même Fulvio Bettini chante-t-il un Aquilio d’une grande tendresse, affirmant un art tout en mesure, bénéficiant d’une saine homogénéité de tous les registres de la voix. Enfin, Sara Mingardo est bouleversante en Tamiri qu’elle sert de son timbre inimitable, expressif à souhait, dans une ligne de chant parfois courageusement rompue par le drame intérieur du personnage, dans une digne émotion.

BB