Chroniques

par isabelle stibbe

Fortunio
opéra d'André Messager

Opéra Comique, Paris
- 10 décembre 2009
Fortunio d'André Messager à l'Opéra Comique, Paris
© elisabeth carrecchio

Cela faisait soixante ans que Fortunio n'avait pas été représenté sur la scène de l'Opéra Comique. On sait que l'opéra d'André Messager, créé Salle Favart en 1907, est inspiré de la pièce Le chandelier de Musset. Il n'en fallait pas moins pour que la mise en scène de cette nouvelle production soit confiée à un habitué du théâtre et de cet auteur : Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie-Française, qui avait monté Fantasio l'an dernier Salle Richelieu.

Pour sa première mise en scène lyrique, Denis Podalydès s'est entouré de son équipe de fidèle : Éric Ruf, qui ajoute à sa casquette de sociétaire du Français celle de scénographe (il a suivi les cours de l'École nationale supérieure des arts appliqués et des Métiers d'Arts Olivier de Serres avant d'entrer au Conservatoire), ou encore Emmanuel Bourdieu à la dramaturgie et Christian Lacroix pour les costumes.

L’argument de l'opéra, l'histoire d'un jeune garçon (Fortunio) qui doit jouer au chandelier, c’est-à-dire séduire une femme (Jacqueline) pour que son mari (le Notaire) ne se doute pas de l'identité de son véritable amant (Clavaroche), est tel que la pièce est souvent tirée vers le boulevard (il faut dire qu'on n'évite pas la scène de l'amant caché dans le placard). Podalydès choisit une autre voie en bovarysant Fortunio. Ce qui pourrait ne passer que pour une histoire légère de femme frivole trompant son bonhomme de mari est passé à la moulinette de la triste vie de province.

Peut-être à cause de la présence du séduisant officier Clavaroche, on pense aux Grandes manœuvres, ce film de René Clair qui n'épargne rien de l'ennui d'une petite ville uniquement pimenté par la présence d'un régiment de cavalerie. L'opéra devient donc une comédie douce-amère où Fortunio, incarné par l'excellent Joseph Kaiser, touche irrésistiblement par son amour entier aux antipodes de celui du roué Clavaroche.

Mais devant la promenade étriquée du premier acte, la grande armoire en bois marron du suivant, l'infini de rondins du troisième, on ressent si bien l'ennui de la triste vie de province qu'on se prend à l'éprouver aussi. Malgré les jolis costumes, malgré le jeu crédible des chanteurs, très bien dirigés, malgré l'intérêt de l'évolution psychologique des personnages, tout cela manque de vie. Sans doute aurait-il fallu des voix plus brillantes pour faire décoller tout à fait cette production trop sage.

Si le plateau vocal se démarque, c'est au premier chef par le naturel du phrasé et l'excellente articulation des chanteurs, grâce à laquelle toute l'habileté du livret de Gaston Arman de Caillavet et Robert de Flers peut ressortir. On est moins convaincus par les timbres dont aucun ne se distingue vraiment : de Jacqueline (Virginie Pochon), presque trop claire, qui fait penser à ces voix pointues du début du siècle, à Joseph Clavaroche (Jean-Sébastien Bou), trop métallique, malgré une appréciable maîtrise stylistique.

Quant à l'Orchestre de Paris, il est dirigé avec finesse par Louis Langrée qui sait passer d'une ardeur survitaminée à des colorations plus subtiles, aptes à faire chatoyer les cuivres et l'harmonisation de la partition. Dommage que la fosse joue trop fort, couvrant des voix dont le volume n'est pas des plus puissants.

IS