Chroniques

par françois cavaillès

Frédégonde, opéra d’Ernest Guiraud et Camille Saint-Saëns
Kate Aldrich, Angélique Boudeville, Tassis Christoyannis, Florian Laconi, etc.

Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, Laurent Campellone
Opéra de Tours
- 12 juin 2022
Laurent Campellone joue "Frédégonde", opéra de Guiraud et Saint-Saëns
© dr

L’opéra aujourd’hui tant considéré, répertorié et étudié – bien que, dans une certaine mesure aussi, encore délaissé, oublié et détourné – paraît matière massive et crépusculaire, un épais brouillard d’œuvres très diverses pouvant toutefois se dissiper et révéler dès lors à l’amateur un peu de lui-même, réaction modeste dans l’instant mais riche en émotions. Quelle force, quelle étendue ont donc ces brumes ?... Remonter à la fraîche source de cette appétence artistique afin d’essayer de la comprendre semble plutôt conduire, par un cercle insécable, à sonder des tréfonds de désir vieux comme le monde.

Transmettre la flamme de la composition fut cher à Camille Saint-Saëns qui hérita de la partition posthume de Frédégonde, drame lyrique d’Ernest Guiraud, et la compléta en vue de la création à Paris fin 1895, en se chargeant des deux derniers actes, Paul Dukas (élève de Guiraud) ayant orchestré les trois premiers. Terrible page de l’histoire mérovingienne à avoir été mise en musique par la fine fleur de l’École française à partir du poème de Louis Gallet, Frédégonde fait l’objet d’une reprise au concert à l’Opéra de Tours, à l’initiative du Palazzetto Bru Zane, après les représentations scéniques données à Dortmund en novembre dernier.

Quelles merveilleuses effluves du romantisme français nous vaut-elle, grâce au superbe travail de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, pour commencer, et de son chef Laurent Campellone (également directeur général de l’Opéra de Tours), tantôt délicat, tantôt viril, toujours soucieux des magnifiques couleurs et de l’énergie tellurique, indices d’une haute conception musicale. Éminemment lyrique aussi s’avère le Chœur de la compagnie tourangelle, renforcé par des chanteurs du Capitole de Toulouse, qui participe aussitôt au panache et à l’élégance d’un récit d’aventures offert avec un grandiose souvent incandescent, sans négliger, dans la sereine dévotion, puis la splendeur sentencieuse finale, la finesse d’un chant émis à de douces fins charmeuses.

Telles qualités sont bien trouvées par le ténor Artavazd Sargsyan, clair Fortunat, dès son premier air, en forme d’ode [lire nos chroniques de L’ivrogne corrigé, Uthal, La reine de Chypre, Proserpine, Le tribut de Zamora, La dame de pique et Missa Solemnis]. Même singulière réussite vocale, fondue dans le fantastique ou l’épique orchestral, chez le baryton Tassis Christoyannis en roi Hilpéric, capable de déclamer avec force la disgrâce de Brunhilda en épousant le caractère fauve du tableau plein de juste violence ou de déverser un nectar de poésie sur un petit bijou mélodique avant de lancer la razzia des Neustriens avec autant de furie que de clarté [lire nos chroniques de La favorite, Andromaque, Faust, Thésée, Cinq-Mars, Ali Baba, Le timbre d‘argent, Hémon]. Les élans sincères et vigoureux du prince Mérowig sont bien négociés par le ténor Florian Laconi, alors qu’en Prétextat, l’évêque de Rouen, la puissante basse Jean-Fernand Setti excelle dans la conjugaison de la solennité et de la gourmandise, introduisant notamment l’hymne Pange lingua donnée avec une belle régularité par la Maîtrise du CRR de Tours.

Fourbe Frédégonde, froide et odieuse, le mezzo Kate Aldrich brille avec justesse à l’Acte IV, dans le grand art de Saint-Saëns de souligner la force d’un théâtre de l’intime [lire nos chroniques de Salomé, Salammbô, Le martyre de Saint Sébastien, Der Rosenkavalier, Le mage, Olympie, Le prophète et Don Carlos]. D’une classe royale, le chant de la belle impavide convient bien au luxe symphonique, mélodique et extatique du V, fabuleux dénouement virant à la tragédie sous la direction tant musclée que précieuse de Campellone. Enfin, le soprano Angélique Boudeville est une Brunhilda de caractère, éruptive ou mielleuse, papillonnant gracieusement en plein accord avec le livret. Au second acte en particulier, l’émission transporte, enchanteresse comme un oiseau de paradis. Puis dans le calvaire de la reine déchue, la voix darde quelques vaillants rayons, signes d’une volonté de fer, de dignité jusqu’au bout, tout comme la valeureuse cantatrice sut, au long de l’après-midi, à l’avant-scène, trouver l’appui d’une béquille et le courage d’un sourire [lire notre chronique de Guillaume Tell].

FC