Chroniques

par gilles charlassier

Francesca da Rimini
opéra de Riccardo Zandonai

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 10 décembre 2017
Nicolas Raab met en scène "Francesca da Rimini" de Zandonai à Strasbourg
© klara beck

Mettre en scène un ouvrage qui puise son inspiration dans le passé et le corpus littéraire – en l'occurrence, ici, Gabriele d'Annunzio et sa fascination pourLa divina commedia de Dante – recèle une tentation, celle du poids de l'Histoire et de ses supposés sortilèges visuels, au risque de confondre le Décadentisme du poète italien avec un kitsch qui n'a de sens qu'au delà du versant septentrional des Alpes. À l'inverse de celle présentée à la Bastille il y a quelques saisons [lire notre chronique du 3 février 2011], la nouvelle production, confiée par l'Opéra national du Rhin à Nicolas Raab, assume un esthétisme économe et subtil qui s'abstient de la désuétude illustrative.

Dessiné par Ashley Martin-Davis, le dispositif circulaire aux allures de forteresse pourrait aussi bien servir pour l'Allemonde de Maeterlinck et Debussy. Les teintes d'eau-forte rehaussées par les lumières de James Farncombe gravent le drame dans une stèle mnésique plus efficacement que le dédoublement de Francesca face à la reconstitution de la fatale rencontre avec l'émissaire de son futur époux, le frère de celui-ci, Paolo il Bello. La prédelle du mur rotatif est cillée de champs fossilisés, suggérant avec un admirable sens de l'esquisse les moissons environnantes. En rappelant une technique artistique d'une tradition qui remonte à l'époque de l'intrigue, la décantation visuelle consonne ainsi avec la veine historicisante de la pièce, plus qu'avec quelque aseptisation minimaliste. Quant aux couleurs des armures et des prothèses, où le rouge se mêle à l'anthracite monochrome dans lequel baigne le spectacle, la dialectique sobre souligne, presque comme une prémonition, les gueules cassées de la Grande Guerre, qui se déclarera quelques mois après la création de l'ouvrage à Turin.

Dans le rôle-titre, Saioa Hernández fait entendre une séduisante puissance qui ne brime pas le personnage dans une présupposée fragilité féminine dominée par son destin, laquelle serait à rebours des intentions dramaturgiques de la mise en scène. La fraternité triangulaire dans laquelle elle tombe ne témoigne guère de faiblesse. Marco Vratogna incarne la rudesse de l'époux bot, Giovanni lo Sciancato, sans sacrifier l'intégrité d'une voix solide [lire nos chroniques des 28 juin et 17 avril 2017, du 29 janvier 2016], quand le non moins valeureux Tom Randle résume la malveillante jalousie de Malatestino dall'Ochio [lire nos chroniques de Solaris, Alceste, Brokeback Mountain et Lulu]. Marcelo Puente clame, quant à lui, la vaillance solaire de Paolo il Bello, auquel on ne fera pas de reproches majeurs dans le frémissement manifeste de la sensibilité.

Le reste de la pléthorique distribution complète efficacement le tableau.
Josy Santos affirme une Samaritana homogène, tandis qu'Ashley David Prewett incarne un Ostasio robuste [lire notre chronique du 1er février 2016]. Ancienne de l'Opéra Studio de l’institution alsacienne, Francesca Sorteni rejoint en Biancofiore d'actuels pensionnaires qui assument deux des autres suivantes de Francesca, Marta Bauzà (Garsenda) et Fanny Lustaud (Adonella), la quatrième, Altichiara, revenant à Claire Péron – mais également Stefan Sbonnik en Toldo Berardengo et Dionysos Idis en Ménestrel, non dénués de promesses. Mentionnons encore l'esclave Smaragdi, dévolu à Idunnu Münch, ainsi que l'Arbalétrier et le Guetteur, confiés respectivement à Sébastien Park et Fabien Gaschy, membres du vigoureux Chœur maison, préparé par Sandrine Abello. On ne s'attardera pas sur les deux autres noms en bas de casting, le double de l'héroïne éponyme, Francesca jeune, dont Marion Frizot offre la figuration, et les cris du prisonnier, Thibault Gassmann.

À la tête de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Giuliano Carella s'attache à mettre en valeur la force dramatique d'une partition privilégiant une sonorité dense, sinon compacte, un peu mate, qu'on peut rapprocher de pièces contemporaines d'Alfredo Casella.

GC