Chroniques

par irma foletti

Francesca da Rimini
opéra de Saverio Mercadante

Oper, Francfort
- 26 février 2023
Francesca da Rimini, opéra de Saverio Mercadante, à l'Oper Frankfurt
© barbara aumüller

Francesca da Rimini de Saverio Mercadante a une histoire particulière : composé en 1830 pour le Teatro del Príncipe à Madrid, l’opéra ne vit pas le jour dans la péninsule ibérique en raison du différend entre le compositeur et le premier soprano. Une chance supplémentaire lui était cependant donnée l’année suivante, à la Scala de Milan, mais là encore le conflit entre les deux étoiles Giulia Grisi et Giuditta Pasta fut insoluble, chacune voulant interpréter le rôle-titre. Mercadante ne vit donc pas son œuvre représentée de son vivant et ce n’est qu’en 2016 que le Festival della Valle d'Itria, à Martina Franca, la proposait en première mondiale – il en existe heureusement une captation disponible en DVD (sous label Dynamic).

Si la mise en scène d’Hans Walter Richter a déjà été donnée au dernier Tiroler Festspiele Erl, en Autriche, l’Oper Frankfurt donne la première allemande de l’opus. Les premières images installent un Regietheater qu’on a la sensation d’avoir vu maintes fois : un lit à droite dans lequel se morfond Francesca, un petit rocher à gauche et une cloison à mi-plateau qui s’ouvre latéralement pour laisser apparaître décors, fumée et personnages au fond. Ainsi verra-t-on à trois reprises à l’arrière une haute façade de vitrail d’une église détruite, décor monumental et somme toute assez classique réalisé par Johannes Leiacker. Mais c’est surtout le choix de faire intervenir les doubles des trois protagonistes principaux – une danseuse pour Francesca et deux danseurs pour Paolo et Lanciotto – qui se révèle dispensable et répétitif. Certains airs ou duos sont dès lors illustrés par une pantomime redondante, le plus souvent, avec les mots émis et sentiments ressentis par la chanteuse ou le chanteur. Ou bien, le plus fréquemment au second acte, c’est le double acteur qui interfère avec le soliste chanteur, en le prenant dans ses bras pour le consoler, avant que celui-ci s’en débarrasse enfin, plutôt violemment. La répétition du procédé peut finir par agacer – bien que minoritaires mais audibles, des huées accueillent l’équipe de réalisation au salut final.

Musicalement et vocalement, l’opéra de Mercadante propose, en tout cas, une formidable partition, dans la lignée de certains titres du Rossini serio, avec nombre d’airs développés en plusieurs sections (le plus souvent en succession agitée, lente, agitée) et des finales à rallonge auxquels participent le chœur. Pour diriger l’ensemble, Ramón Tebar impulse des tempi dynamiques et ne relâche pas la tension, tout en restant attentif au plateau et en sachant ne pas mettre les chanteurs en difficulté [lire nos chroniques de Don Carlo et de Giovanna d’Arco]. Les musiciens du Frankfurter Opern- und Museumsorchester se montrent sous leur meilleure forme, en particulier les solistes aux bois qui détaillent de jolies mélodies, ou encore la harpe, sollicitée pour accompagner pas moins de trois cantilènes, dont celle de Francesca dans sa dernière grande aria du second acte où le cor anglais amène également sa dose de mélancolie.

La distribution vocale est dominée par la Francesca de Jessica Pratt, le soprano figurant actuellement parmi les meilleures belcantistes. En débuts dans un ouvrage de Mercadante, la chanteuse est toujours aussi impressionnante, tant pour filer les pianissimi au cours d’aériennes cantilènes que pour déclencher, à l’occasion de cabalettes déchaînées, de véritables feux d’artifice de suraigus qui semblent faciles d’émission. Toute la grammaire du bel canto est là, entre passages d’agilité fluides, gestion d’intervalles meurtriers, variations bienvenues dans les reprises, ou encore aigus stratosphériques vaillamment tenus [lire nos chroniques d’I puritani, Le convenienze ed inconvenienze teatrali, Rosmonda d’Inghilterra, Rigoletto, Semiramide, Il castello di Kenilworth, Demetrio e Polibio et Arianna a Nasso].

Le mezzo Kelsey Lauritano incarne son amoureux Paolo, d’un timbre magnifique et très expressif. Elle est aussi dotée d’une appréciable souplesse pour négocier les passages les plus fleuris, le seul point faible étant la modestie du volume : l’interprète s’avère capable d’enfler le son des notes les plus aigües mais la partie médiane de la voix disparaît rapidement derrière l’orchestre ou les masses chorales. Troisième rôle d’importance, Lanciotto est attribué au ténor Theo Lebow qui, après une première impression mitigée, s’épanouit au fur et à mesure, gagnant un peu en puissance et encore davantage en maîtrise, en particulier pour les excursions vers le suraigu et l’abattage des séquences d’agilité [lire nos chroniques d’Enrico et de Der ferne Klang]. Il est malheureusement sujet à un petit accident sur un aigu en début de second acte, et doit, par la suite, se montrer plus prudent pour arriver sans dommage au terme de la représentation.

Mis à part ces trois protagonistes qui monopolisent l’ensembles des airs, duos et trios, les autres rôles ne bénéficient pas de parties solistes. On apprécie la jolie voix du soprano Karolina Bengtsson (Isaura), aux côtés de Brian Michael Moore (Guelfo) et d’Erik Van Heyningen (Guido) [lire notre chronique de Das verratene Meer].

IF