Chroniques

par vincent guillemin

Germania 1868-1889 : Wagner, Bruckner et Strauss
Daniele Gatti dirige l’Orchestre national de France

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 16 janvier 2014
bas-relief représentant Anton Bruckner, sur la façade de sa maison viennoise
© dr | anton bruckner, bas-relief de l'heßgasse (vienne)

Contrairement à de nombreux chefs d’aujourd’hui pour lesquels la direction d’orchestre consiste à la mise en valeur d’une partition par une superposition de phrases musicales extensibles ou adaptables à loisir, Daniele Gatti préserve une approche qui amène un angle de réflexion sur les œuvres dans le but d’en faire ressortir un discours cohérent et profond, à défaut d’être toujours accessible.

Mêlant maître, disciple et élève – Wagner, Bruckner et Strauss –, le programme germanique de ce concert s’oppose à toute lecture légère ou superficielle ; à l’inverse, par la maîtrise des masses orchestrales il cherche à créer une atmosphère chargée dont la réussite principale est l’interprétation de Tod und Verklärung Op.24 (Mort et transfiguration). Auparavant, le Prélude de l’Acte III de Die Meistersinger von Nürnberg nous plongeait déjà dans une ambiance pesante, à l’opposé de l’effet créé par le même chef à Salzburg cet été, lorsqu’au troisième acte il ouvrait l’ensemble de l’œuvre vers plus de luminosité. Certains pourraient lui reprocher trop d’épaisseur, car c’est souvent le chemin pris par Gatti pour atteindre un but aux antipodes d’effets inutiles ou de figures de styles, plutôt basé sur une construction réflexivo-émotive.

Le poème symphonique de Richard Strauss s’accorde complètement à cette démarche, issue d’une interprétation conduisant l’orchestre aux limites de la saturation sans jamais l’y faire sombrer. Et malgré quelques phrases trop appuyées, il semble que nous n’ayons entendu depuis longtemps une vision aussi superbe d’une partition écrite par un compositeur de vingt-cinq ans. L’Orchestre national de France montre avec quel remarquable travail de répétition les cordes ont été préparés, menées par les superbes soli du premier violon ; si impactés dans cette œuvre, les cors prouvent qu’il n’est pas besoin d’être du côté Est du Rhin pour tenir correctement toutes les notes, le premier d’entre eux ayant largement le niveau pour jouer dans les plus grandes formations allemandes.

La Symphonie en mi bémol majeur n°4 d’Anton Bruckner soulève plus de questions et de problèmes, les solutions proposées alternant moments de grâce et ruptures, altérant la possibilité de totalement adhérer à cette vision. Très maîtrisé, le premier mouvement ne laisse pas tout à fait assez de respiration pour permettre à cette œuvre, souvent comparée à une cathédrale, de mener au ciel, nous laissant sous les nuages par une approche dans la continuité de celle d’Otto Klemperer à la fin de sa vie, lorsque la dépression lui faisait malencontreusement alourdir une partie du propos musical. L’Andante développe les phrases lyriques sans jamais tomber dans le pathos, alors que le Scherzo commence au plus haut pour se perdre dans des accélérations trop brusques des cordes, dispersant au passage une petite harmonie encore sur le tempo précédent ; mais tout (malgré une première trompette ingrate) finit par convaincre. Enfin, le Finale débute magnifiquement, avec là encore une atmosphère tendue, créée dès les premières secondes et soutenue par de superbes bois, ce qui n’empêche pas le chef de renouer parfois avec des phrases trop appuyées, l’ONF arrivant alors régulièrement en dehors de ses limites, peu aidé par une acoustique trop sèche pour permettre l’expansion du développement polyphonique de cette magistrale symphonie.

Bien que mal-aimé des Parisiens, Daniele Gatti est l’un des chefs les plus intéressants de la scène internationale actuelle, comme le prouve une nouvelle fois ce concert. À l’encontre des modes actuelles privilégiant l’emphase et la belle gestuelle dans le seul but de livrer du « beau son », il privilégie une recherche sur les œuvres et un discours intellectuel poussé, moins envié à l’ère où les superstars se doivent de posséder un sourire permanent et de favoriser des gestes de tragédien.

VG