Chroniques

par david verdier

Gewandhausorchester Leipzig
Brahms par Riccardo Chailly, épisode 3

Concerto pour piano Op.15 n°1 – Symphonie Op.90 n°3
Salle Pleyel, Paris
- 1er novembre 2013
Pierre-Laurent Aimard joue le Concerto Op.15 n°1 de Brahms
© marco borggreve

On pourrait aller chercher dans la météo qui vacille et les feuilles qui tombent une bonne raison d'aller écouter ce troisième volet brahmsien,mais… autant se contenter d'ignorer au juste les raisons inattendues qui nous poussent à venir y assister. La qualité d'une intégrale Brahms [lire notre chronique du 27 octobre 2013] se jauge rarement à l'aune de la Symphonie en fa majeur Op.90 n°3, fanal de la tristesse à bon compte, chrysanthème musical aux rousseurs vaguement sucrées – idéal par temps de crise.

Le Gewandhausorchester de Leipzig est aujourd'hui l'une des rares phalanges à pouvoir prétendre enchaîner à un niveau superlatif une intégrale symphonies-concertos en l'espace de deux semaines. Dès les premiers accords, on sait avec certitude que le navire ira à bon port, dévalant les plis et les déroulés avec une brillance de timbres d'un confort inouï. L'oreille est séduite par le perpétuel legato souverain que Riccardo Chailly dose à merveille, sans rien souligner, et qui, par conséquent, donne cette curieuse impression que tout est dans le souffle de l'air qui circule sans que rien jamais ne pèse. Les pivotements mélodiques courent d'un thème à l'autre, portés par le tempo grand style d'une marine fortement brassée, très loin des réminiscences d'un quelconque Ländler paysan. On regretterait presque cette absence d'enjeu dans la réexposition, au delà de la pure beauté. Alors que se pressent une dernière fois les thèmes, la musique s'efface sans qu'on y prenne garde. L'Andante débute avec la douceur lisse d'une petite harmonie évanescente. L'esprit du choral plane sur cette clarinette laiteuse et les belles transparences de cordes et de bois. Le grain hédoniste ne verse jamais dans la profondeur psychologique, échangeant la méditation contre un panthéisme contemplatif. Chailly a le bon goût d'éviter les pâmoisons mélancoliques dans le Poco allegretto. Cette scie musicale laisse au moins la possibilité de regarder passer les images et le poudroiement des cors sur les ondulations de cordes. L'Allegro final, effilé et pauvre en couleurs, donne paradoxalement un élan bienvenu à l'ensemble. On suit ces ombres portées jusqu'à leur conclusion, en forme de choral attendri et apaisé.

Riccardo Chailly libère un rideau d'éclairs et de tonnerre sur l'ouverture Maestoso, poco piu moderato du Concerto pour piano en ré mineur Op.15 n°1. Les vannes ont cédé, les tremolos ruissellent d'une belle couleur sombre et dans l'enthousiasme, les cordes se précipitent, un peu en décalage juste avant l'entrée du soliste. Surprise en découvrant les premières notes : l'instrument est sobre, le jeu vertical et myope. La froideur du clavier de Pierre-Laurent Aimard [photo] calme tout le monde et il faut au chef toute sa lucidité pour ne pas se laisser happer dans cette neutralité décalée. Il va chercher avec gourmandise dans les pizzicati des contrebasses pour réveiller des instrumentistes déconcertés ; il se passe enfin quelque chose.

Aimard a le mérite de se fondre dans les tutti avec l'honnêteté et la précision d'un interprète qui connaît ses limites et ne cherche pas à rivaliser avec les broyeurs d'ivoire qui font chavirer les salles en oubliant le terme « concerto ». À défaut d'être passionnant dans ce répertoire, son jeu rigoureux déroule des traits qui, comme par crainte de s'y perdre, ne regardent pas en arrière les somptueux paysages dessinés par le chef. L'exaspération impétueuse de la coda le prend de court. C'est sans doute le seul moment où il doit courir après les notes pour rattraper le train lancé à toute vitesse. Le deuxième mouvement est passionnant par l’équilibre de matité entre orchestre et soliste. Le refus du lyrisme donne une dimension touchante à ces murmures échangés. L'introduction de la coda aurait peut-être mérité un trille moins dur, étrange préfiguration du Rondo final. La conclusion met en valeur la richesse inventive des variations, avec l'irruption soudaine de ce passage fugato que Chailly ne déplace pas vers l'incise néoclassique et maintient dans l'esprit de la danse. Le piano se laisse convaincre et se libère enfin d'une approche jusqu'alors scrupuleuse et réservée.

DV